Contrairement à Yport, Veulettes-sur-Mer, Veules-les-Roses… notre station balnéaire n’a pas actuellement de casino. Il n’en a pas toujours été ainsi.
Le casino de fait de 1883 à 1885
C’est d’abord du côté de Saint-Martin-aux-Buneaux1Pour alléger le texte, nous remplacerons Saint-Martin-aux-Buneaux et Sassetot-le-Mauconduit par Saint-Martin et Sassetot que les premières courses de salon apparaissent. Dès 1882, H. Vézier, propriétaire du Grand Hôtel des Bains, adresse au préfet une demande d’autorisation pour installer dans l’une des salles de son hôtel un jeu des petits chevaux (illustration 1). Cette demande est vraisemblablement restée sans suite, car l’année suivante, M. Roquigny, maire de Saint-Martin, attire l’attention du préfet de Seine-Inférieure sur l’absence de casino aux Petites Dalles et l’interroge sur la demande de M. Silvy qui a déjà établi ce jeu dans les casinos de Saint-Valery-en-Caux et de Veules-les-Roses. Le 31 juillet 1883, le préfet autorise M. Silvy à installer des petits chevaux dans le Grand Hôtel des Bains. Les enjeux ne doivent pas dépasser deux francs. De plus, aucun pari n’est autorisé en marge de ces jeux qui doivent faire l’objet d’une surveillance constante.
En 1884, M. Silvy établit ses petits chevaux successivement dans le grand salon, dans une cabane en bois qui sera renversée par un coup de vent, puis dans le Café de l’hôtel.
Les réactions hostiles ne tardent pas à se manifester. Le maire, M. Roquigny, explique au préfet que le grand salon Vézier est considéré comme casino. La surveillance prévue lui semble impossible, car le garde champêtre a fort à faire, à cette saison, avec les récoltes. Il regrette l’évolution de la clientèle, car les joueurs ne sont pas seulement des estivants, mais aussi des domestiques et des habitants permanents. En outre, le maire a vu une table de jeu d’argent. Le préfet, par arrêté du 13 juin 1885, suit la proposition du maire et décide le retrait de l’autorisation accordée à M. Silvy.
En 1888, M. Million, nouveau propriétaire du Grand Hôtel des Bains, demande l’autorisation d’établir le jeu des petits chevaux dans un kiosque sur la terrasse. Le sous-préfet d’Yvetot et le préfet n’y voient aucun inconvénient. Le maire de Saint-Martin, M. Roquigny, en l’apprenant commence par déclarer s’incliner. Mais il poursuit sa lettre en expliquant que la surveillance ne peut être assurée par le garde champêtre, car, à cette saison, il est occupé à conduire les glaneurs et à empêcher les grappillages dans les champs. Il précise que c’est pour cette raison qu’est intervenu, en 1885, le retrait d’autorisation. Cette lettre du maire semble avoir atteint son but, car le dossier ne contient pas de décision d’autorisation.
Le casino de 1892 à 1904
C’est du côté de Sassetot, à l’emplacement du terrain de jeu actuel, derrière la tour Fiquet, que sera construit le casino des Petites Dalles. Le bâtiment en bois implanté sur une plateforme disposait de terrasses sur rue et côté mer. La photo de madame Éliane Philippart (illustration 2) montre la façade, du côté de l’actuelle rue Joseph Heuzé, portant l’inscription « THÉÂTRE ». C’est sur la façade côté mer, visible sur la carte postale jointe, que s’affichait « CASINO » (illustration 3).
Ouvert de juin à octobre, il offrait de nombreuses animations : théâtre, concerts, bals, billards, jeux d’argent. Pour ces jeux, lors de l’inauguration, le 3 juillet 1892, les autorisations n’avaient pas encore été obtenues. Après plusieurs échanges d’informations avec le 4e bureau de la direction de la Sureté du ministère de l’Intérieur, le 21 juillet 1892, le préfet déclare « ne pas voir d’inconvénient » à ce que M. Eppel-Duplessis, directeur du casino, installe un jeu de petits chevaux. Mais il pose comme condition que l’accès au local abritant ce jeu doive être limité aux abonnés ou aux personnes munies d’une carte d’entrée au casino.
En 1895, à la demande de M. Dumesnil, directeur du casino, l’administration répond que les tolérances en matière de jeux sont accordées à un établissement et non à une personne. En 1897, le sous-préfet d’Yvetot précise au préfet, de façon erronée, que le personnel est « attaché à la salle de jeux des Petites Dalles et non de Sassetot-le-Mauconduit où il n’existe pas de casino ».
En 1899, une enquête fait apparaître qu’Alphonse Laborie dit Boriol, directeur des jeux des petits chevaux, non seulement n’a pas fourni d’extrait de casier judiciaire, mais en outre a menti sur son lieu de naissance. De plus, informée de ce que l’on jouait clandestinement au baccara, l’administration demande à M. Léon Delpech dit Dubreuil de fournir la liste des membres du Cercle (voir annexe 1) et le menace, en cas de récidive, de retirer l’autorisation des jeux.
Le 20 juin 1900, la préfecture de Rouen, répond à un message du Président du conseil2En juillet 1899, Pierre Waldeck-Rousseau était président du Conseil, ministre de l’Intérieur et des Cultes., en situant à tort notre casino dans la commune de Saint-Pierre-en-Port, avec cette précision subtile : « le jeu des petits chevaux avec ticket bien que ne fonctionnant guère doit être considéré comme existant ».
Informé de la présence, au Cercle de la Plage, d’une table de baccara où l’on a joué au Chemin de fer, le service du ministère de l’Intérieur chargé de la police des jeux demande la disparition de cette table et précise au directeur du casino « s’il désire jouir de la tolérance du “baccara”, il devra se mettre en instance auprès de l’administration en vue de solliciter la réouverture du cercle ». Les documents dont nous disposons ne permettent pas de penser que le casino soit parvenu à régulariser sa situation pour le baccara.
Ce casino ne fut éliminé ni par l’administration, ni par l’hostilité de certains estivants, mais par un incendie. Celui-ci débuta pendant le bal du 15 août 1904 après la séance du prestidigitateur. Les ruines du casino et des maisons détruites figurent sur plusieurs cartes postales (illustration 4).
La chute d’une lampe à acétylène aurait été à l’origine de cet incendie. Yves Robert a trouvé dans le Journal de l’acétylène et des industries qui s’y rattachent un article dans lequel l’auteur remet en cause cette origine (illustration 5). À défaut d’attribution à l’acétylène émanant de témoins directs, il considère qu’il s’agit d’une calomnie, provenant d’un journaliste, profitant probablement à une industrie rivale.
Quelques années plus tard, en 1907 et 1908, l’administration rejeta les demandes d’autorisation provisoire de M. Baudrand, puis de M. Dechaux, en précisant que les autorisations ne peuvent être délivrées qu’à titre définitif et après avoir accompli diverses formalités.
Ces deux demandes d’autorisation provisoire étaient-elles formulées dans l’attente de la reconstruction du casino ? Quelle était la localisation du casino dont M. Dechaux se disait directeur ? Les documents archivés ne permettent pas de préciser dans quels locaux ces jeux devaient être exploités.
Le projet de nouveau casino en 1927-1928
C’est du côté de Saint-Martin que M. Foubert, voulait construire un nouveau casino. Il venait d’acquérir le Grand Hôtel des Bains et de la Plage. Il souhaitait implanter ce casino à l’emplacement de la terrasse amont. Sur le plan joint, le casino projeté est représenté à droite (illustration 6).
Monsieur Foubert, né à Fécamp, y avait créé le journal républicain radical. Puis avait exercé comme journaliste en Algérie avant de faire de la recherche minière et de mettre en valeur une mine de fer. Son appartenance politique lui permit d’obtenir une lettre d’intervention en faveur de son projet.
Le maire de Saint-Martin, M. Roquigny, signa avec lui, le 10 juillet 1927, une convention autorisant la création de ce casino pour 1927. Le 12 avril 1928, dans le cadre d’une enquête commodo et incommodo, le commissaire enquêteur, recueillit les réactions de cinq membres du syndicat d’initiative. Sur la forme, ils critiquent la date choisie pour l’enquête lorsque les estivants sont absents. Sur le fond, ils manifestent leur opposition à ce projet nuisible au développement d’une plage de famille.
Par ailleurs, au vu des protestations de dix-huit propriétaires aux Petites Dalles, le conseil municipal de Saint-Martin formula un avis défavorable à ce projet pour 1928, mais réserva son avis pour l’avenir. Le 19 juin, le service chargé des jeux au ministère de l’Intérieur, sur avis défavorable du préfet, estima que la demande de M. Foubert n’était susceptible d’aucune suite. Mais l’administration n’aime pas reconnaitre avoir cédé aux pressions, il est donc précisé : « si les faits invoqués par le conseil municipal de Saint-Martin sont suffisants pour motiver ce rejet, ils ne sauraient être considérés en droit, comme l’unique et principale cause de cette décision ». En effet, la loi de 1907 ne permettait d’accorder l’autorisation des jeux qu’aux casinos situés sur les territoires de communes préalablement érigées en stations thermales, balnéaires ou climatiques. Or, tel n’était pas le cas des Petites Dalles.
Si à l’inverse le projet de 1928 s’était concrétisé, ce casino, comme l’Hôtel des Bains, aurait été détruit pendant la Seconde Guerre mondiale. Aurait-il alors disparu ou au contraire été reconstruit comme ceux des principales stations balnéaires de la Côte d’Albâtre ? La question de sa localisation se serait alors posée, d’autant plus que le terrain de l’Hôtel des Bains a été considérablement réduit pour permettre la création du parking. En supposant ce problème résolu, ce casino se serait ajouté aux hôtels, restaurants et autres commerces des Petites Dalles disparus au fil des ans.
Les nuisances associées à la présence d’un casino suscitaient l’hostilité et des plaintes de nombreux estivants. À plusieurs reprises, ils ont obtenu des élus et de l’administration des revirements et des décisions défavorables à cette activité. Dès 1928, les estivants désireux de conserver aux Petites Dalles son caractère familial ont définitivement gagné la partie.
Annexes
1 – Liste des membres du Cercle de la Plage en 1899 :
Messieurs Fiquet, entrepreneurs à Sassetot – Grandjean – Lacroix père, inspecteur des chemins de fer – Lacroix fils, professeur de chimie – Margaine, père – Margaine, fils -Dreyfus, journaliste – Baron, industriel – Charron, architecte – Potier, capitaine – Maugé, commerçant – Deyzac, directeur – Péquet, percepteur – Hamel, directeur des postes – Thiéry, homme de lettres – Fragerolles, dessinateur – Deshouillières, ingénieur – D’Ennetières, rentier – Daclin, chef d’orchestre.
2 – Comité du cercle de la Plage en 1899
Fiquet, président – Deyzac, vice-président – Péquet, secrétaire. Membres : Margaine, père – Margaine, fils – Lacroix, père – Hamel.
3 – Signataires de l’enquête commodo-incommodo du 12 avril 1928
Messieurs Garnier, ingénieur chimiste, villa Les Frênes – A. Mourer, industriel, villa Les Marronniers – Édouard Bonfils, inspecteur primaire à Paris, cottage des Roses – Henrat, Les Embruns – A.P. Bouchet, La Terrasse.
4 – Protestataires des Petites Dalles mentionnés dans l’avis du Conseil municipal de Saint-Martin du 30 avril 1928
Messieurs M. Bonfils, Garnier, A. Mourer, M. Henrat, Bouchet, Renard, Boyard, G. Ledun, Caplain, Achard, Loisel, L. Holley, Guibert, Leroux, Gille, H. Petit, mesdames Bonfils, Lancrenon, Bardy, Muzard.
Source principale : Archives départementales de la Seine-Maritime 4M/404.
Cet article a été initialement publié dans le livret 2019 du Syndicat d’initiative des Petites Dalles. Il est également consultable avec des images en couleurs et quelques documents complémentaires sur le site internet Les Petites Dalles et la Mémoire des Hautes Falaises.
- 1Pour alléger le texte, nous remplacerons Saint-Martin-aux-Buneaux et Sassetot-le-Mauconduit par Saint-Martin et Sassetot
- 2En juillet 1899, Pierre Waldeck-Rousseau était président du Conseil, ministre de l’Intérieur et des Cultes.