On célèbre cette année le centenaire de Gustave Eiffel, mort le 27 décembre 1923. Le nom de Gustave Eiffel n’est pas inconnu aux Petites Dalles. La famille Granet, descendante directe de Claire, sa fille aînée, possède une maison au 67 de la rue Joseph Heuzé, la villa « Les Sorbiers », dont on dit qu’Eiffel a construit la belle grille d’entrée. Eiffel, qui a eu cinq enfants et une nombreuse descendance, est venu au moins trois ans en villégiature aux Petites Dalles de 1882 à 1885 et il a pris plusieurs photos de la plage, des maisons et de sa famille, comme on peut le voir ici.
Certaines ont été léguées au Musée d’Orsay comme la photo de la plage et celle d’enfants jouant au croquet, parmi lesquels se trouvent Valentine et Albert Eiffel.
Ingénieur hors pair, architecte visionnaire et capitaine d’industrie, Gustave Eiffel a été une figure marquante de la fin du XIXe siècle. Il est né à Dijon en 1832 d’un père qui était un ancien officier de Napoléon et d’une mère ayant le sens des affaires, qui s’était enrichie dans l’industrie du charbon. Son véritable nom était « Boenickhausen dit Eiffel », le nom d’Eiffel (une région de collines au sud de Cologne) ayant été ajouté par l’un de ses ancêtres allemands. En 1855, Gustave Eiffel sort diplômé de l’École Centrale des Arts et Manufactures et il rencontre, l’année suivante, par l’intermédiaire de sa mère, Charles Nepveu, un entrepreneur parisien spécialisé dans la construction métallique. L’acier commence en effet à s’imposer pour la construction des ponts et des charpentes, au moment où le développement des voies ferrées est en plein essor. Eiffel trouvera d’ailleurs un premier emploi à la Compagnie des chemins de fer de l’Ouest, dirigée par les frères Péreire. C’est l’époque flamboyante du Second Empire où triomphe la modernité, l’époque où les travaux d’Haussmann transforment Paris de fond en comble. C’est aussi le moment où s’impose la figure de l’ingénieur, autant dans la littérature que dans les milieux politiques. Des banques comme le Crédit lyonnais, des compagnies de chemin de fer, de nouvelles villégiatures telle Arcachon sont créées et lancées par des ingénieurs souvent proches du mouvement Saint-Simonien, qui ont l’appui de Napoléon III.
Ami des frères Péreire, Gustave Eiffel crée à Levallois-Perret en 1863 sa propre entreprise, spécialisée dans la construction métallique. Désormais, les commandes se succèdent en France et à l’étranger : Eiffel construit l’ossature métallique de la statue de la Liberté de New York (1879), le viaduc de Garabit (1884), une partie des charpentes métalliques du magasin du Bon Marché, mais aussi celles de la gare de Budapest. Emile Zola, qui prend pour modèle Le Bon Marché dans Au Bonheur des dames, rend hommage à Eiffel et aux architectes de son temps : « C’était la cathédrale du commerce moderne, solide et légère. (…) Et tout ce fer mettait là, sous la lumière blanche des vitrages, une architecture légère, une dentelle compliquée où passait le jour, la réalisation moderne d’un palais de rêve, d’une Babel entassant des étages. »
Parlons maintenant de la tour Eiffel, le grand œuvre de l’illustre ingénieur et le moment de son triomphe. Elle fut construite en deux ans de 1887 à 1889 avec l’aide de deux ingénieurs de l’entreprise Eiffel, Émile Nouguier et Maurice Koechlin, et composée de plus de 18 000 pièces métalliques, toutes fabriquées par la « Compagnie des Établissements Eiffel ». Atteignant à l’époque 300 m, c’était le bâtiment le plus haut du monde. Avant sa réalisation, le projet eut de nombreux adversaires. Des écrivains comme Leconte de Lisle et Maupassant signèrent une « Protestation des Artistes », pensant que cet édifice allait défigurer Paris. D’autres considéraient cette construction ambitieuse comme une nouvelle Babel, une forme de défi adressé à Dieu. Peut-être était-ce le cas. Il faut cependant souligner plus prosaïquement que la technique des ascenseurs venait d’être inventée et que cette découverte permit non seulement à Eiffel d’édifier sa tour, mais aux premiers gratte-ciels d’être construits à Chicago pendant ces mêmes années. Il est certain, en tout cas, que l’initiative fut appuyée par des députés aux fortes convictions républicaines, par exemple Édouard Lockroy, le ministre du Commerce et de l’Industrie qui était radical-socialiste, et que Gustave Eiffel lui-même engagea sa fortune dans le projet puisqu’il avança le montant de 80 % des travaux. La tour Eiffel devait d’ailleurs servir de porte d’entrée monumentale à l’exposition universelle de 1889, elle-même destinée à célébrer le centenaire de la Révolution française et à faire oublier (un peu) la défaite de Sedan et la perte de l’Alsace-Lorraine. Lorsque Gustave Eiffel, au moment de l’inauguration de la tour, hissa à son sommet le drapeau tricolore, il prononça ces mots : « Je viens d’éprouver, mes chers amis, une grande satisfaction, celle d’avoir fait flotter notre drapeau national sur le plus haut édifice que l’homme ait jamais construit. » Seule ombre dans une carrière aussi brillante, Gustave Eiffel fut impliqué dans le scandale du canal de Panama en 1889, une affaire de corruption politique qui ruina des centaines de milliers d’épargnants, mais à tort puisqu’il fut réhabilité par la Cour de cassation en 1893.
La tour Eiffel est donc devenue l’emblème de Paris et de la France, de même que l’ingénieur Eiffel, au côté du savant Pasteur, est devenu l’emblème de ce XIXe siècle qui a cru au progrès, à la science, à l’industrie et aux techniques. Comme le dit Antoine Picon dans La matérialité de l’architecture, l’architecture tente de faire parler la matière. Or les édifices construits par Eiffel, qui constituent certains des symboles d’un XIXe siècle tentant d’ordonner le monde, nous parlent encore aujourd’hui.