Apparition du Rayon vert aux Petites Dalles
C’était à la fin de l’une de ces belles journées du mois d’août 2008 telles que les Dallais en rêvent parfois pendant de longues semaines. L’aiguille du baromètre semblait bloquée sur très beau temps et l’air était calme, pas un souffle de vent de mer et un ciel où les quelques nuages semblaient avoir concentré toute trace d’humidité.
Nous étions là à quelques-uns, au rendez-vous du soir, sur la promenade dominant l’alignement des cabines. Visages connus pour beaucoup, salués d’un hochement de tête, recueillis dans la contemplation du disque d’Apollon finissant sa course diurne avant d’être englouti par l’horizon lumineux. Un horizon qui, ce jour-là, était net et précis comme on le voit rarement en ce lieu où bien souvent le ciel et la mer se confondent en une fusion indistincte. La mer, retenant elle même son souffle, était d’un calme inhabituel dans ce pays d’eaux vivifiantes, toutes dansantes et rougeoyantes de reflets, et les falaises en arrière-plan s’enflammaient tour à tour.
Le disque du soleil s’aplatissait déjà dans cette illusion d’optique qui le fait paraître plus gros que lorsqu’il est au zénith. Les conversations s’étaient tues dans cette contemplation émouvante et toujours renouvelée du passage de la lumière au monde des ombres. Seul un infime morceau du disque apparaissait encore, accélérant sa noyade. Lorsque tout à coup, de ce minuscule point, au moment même où nous l’aurions cru disparu à l’horizon, une fulgurance émergea, un éclat éteint, aussitôt qu’apparu, d’un vert lumineux à nul autre pareil. C’était le rayon vert, aperçu pour la première fois pour la plupart, après en avoir tant parlé, en avoir tant rêvé.
Les présents à ce spectacle d’exception se regardaient en silence, dubitatifs encore. Un groupe se forma lentement pour commenter l’évènement, visages connus et inconnus, Dallais aux nombreux quartiers de noblesse et hôtes de passage. Tous émus et se congratulant, jurant en se serrant la main — croix de bois, croix de fer — qu’ils sauraient témoigner de cet instant unique.
Un phénomène optique bien connu
Mais quel est ce phénomène curieux qui de tout temps enflamma l’imagination des hommes ?
Longtemps, les férus d’anatomie oculaire et de psychologie contestèrent la dimension atmosphérique du phénomène. Ils échafaudèrent telle théorie fondée sur la persistance rétinienne de la sensation lumineuse rouge orangée du dernier rayon visible, se traduisant par l’impression résiduelle de sa couleur complémentaire, le vert. Cette thèse a toujours cours, combien de fois ne l’avons-nous entendue chez les sceptiques de tous poils. Or le rayon vert se manifeste également au lever du soleil — pas aux Petites Dalles bien sûr — ce qui ruine la théorie de ces savants d’un soir.
En fait il s’agit d’un phénomène lié à la réfraction de la lumière rasante du soleil couchant, au passage à l’horizon des couches superposées de l’atmosphère de densité décroissante, qui jouent de ce fait le rôle d’un prisme. L’effet de cette réfraction se traduit par une courbure des rayons lumineux, d’autant plus accentuée que la longueur d’onde est plus courte. Ainsi à partir d’une source unique de lumière blanche composée, le soleil situé à l’horizon, les rayons monochromatiques de couleur verte, plus réfractés, sont alors plus courbés vers la terre que ceux de couleur rouge. Ainsi le soleil ayant tout juste disparu à l’horizon, le rayon vert, venant de « derrière l’horizon » peut-il encore apparaître un instant à la vue, alors que le reste du spectre, jaune orange et rouge, n’est plus visible.
Les couleurs bleues et violettes qui devraient subsister plus longtemps encore que le vert sont quant à elle rendues invisibles au bord de la mer par un autre phénomène dit de diffusion de Rayleygh qui est à l’origine de la couleur bleue du ciel. Toutefois on signale dans le désert du Colorado un phénomène très rare d’un rayon bleu et même d’un rayon violet et des photos exceptionnelles en témoignent.
L’apparition de tels phénomènes nécessite un horizon tout à la fois net et lointain, un air très sec et translucide et les hautes pressions d’un anticyclone qui accentuent la stratification des couches d’air de densités différentes. Autant dire que ce type de configuration est relativement rare aux Petites Dalles où il est plus fréquent de voir le disque solaire se noyer dans la brume.
Le roman de Jules Verne
Ce phénomène étant désormais, le fait est entendu, visible aux Petites Dalles, certains Dallais audacieux, lui attribuent l’inspiration de Jules Verne pour son fameux roman Le Rayon vert. Cette jolie anecdote mériterait d’être diffusée si la chronologie des faits ne la rendait totalement impossible. Au risque de m’attirer les reproches de quelques conteurs déçus, il convient de préciser que Jules Verne ne se manifesta aux Petites Dalles qu’à l’été 1899 alors que Le Rayon vert fut écrit quelques 18 ans plus tôt en 1881 et publié en 1882.
Encore est-il vraisemblable que Jules Verne n’observa lui-même jamais le phénomène, tant il est vrai que son roman n’en est en fait qu’une quête infructueuse. Elle a pour cadre un lieu improbable d‘Écosse, près d’Oban, où les vapeurs du whisky local, jointes à celles de l’atmosphère rendent le phénomène plus rare encore qu’aux Petites Dalles ? Ainsi les héros, à la recherche du fameux rayon depuis de longues semaines, se jettent-ils au moment fatidique, l’un de ces regards qui fait basculer leur vie, et manquent in extremis l’observation du rayon vert qui jaillit à leur insu… ce qui dispense l’auteur d’en faire une véritable description. Mais Miss Helena Campbell, l’héroïne de Jules Verne, épousera tout de même Olivier Sinclair qui sut, dans le roman, prêter foi à l’existence du rayon vert. Sans qu’il l’ait finalement jamais vu, du fait de son égarement, l’imagination féconde de ce peintre en fit néanmoins un tableau qui aurait eu un grand succès à Glasgow.
Nul doute alors que notre petite station, qui compte de nombreux peintres de renom, verra exposées cet été, après l’évènement de l’an passé, des toiles ainsi libellées : coucher de soleil au rayon vert sur les Petites Dalles.