Quelques témoignages sur la vie aux Petites Dalles pendant la Seconde Guerre mondiale

Malgré la déclaration de guerre, le 3 septembre 1939, parmi les familles qui avaient l’habitude de passer l’été aux Petites Dalles, plusieurs choisirent d’y passer l’hiver, craignant notamment de possibles bombardements sur Paris.

Les enfants allaient en classe à Saint-Pierre-en-Port et, tous les matins, un car de transport scolaire s’arrêtait devant l’actuel restaurant de l’Espérance, alors maison Desjardin, pour les y conduire. Cet hiver 1939-1940 fut particulièrement rude et la neige ou le verglas empêchait parfois tout passage de celui-ci, obligeant alors les écoliers à effectuer le trajet à pieds par les falaises. Au printemps, la plupart de ces familles voyant qu’il ne se passait rien – c’était la « drôle de guerre » – décidèrent finalement de rentrer chez elles.

Le 10 mai 1940, c’est le coup de tonnerre : la Wehrmacht attaque à l’aube et pénètre en Hollande, en Belgique et au Luxembourg. C’est la débâcle et l’exode des populations qui fuient devant l’ennemi.

Les Allemands avancent sans rencontrer beaucoup de résistance et la ville de Rouen tombe le 9 juin. Le 10 juin 1940, Rommel, à la tête de la 7e Panzer Division, a reçu l’ordre de couper le repli des armées alliées vers Le Havre1Le port de Dieppe avait été rendu inutilisable après l’offensive allemande sur la Somme, de peur qu’il tombe entre leurs mains. et d’empêcher certains éléments de tenter d’embarquer à Fécamp ou à Saint-Valery-en-Caux.

Parti à 7 h 30 de Barentin, il atteignit la côte vers 11 h 30, et écrivit dans ses mémoires, à propos des Petites Dalles qui fut donc la première plage sur laquelle arrivèrent les Allemands : « La vue de la mer, bordée de falaises de chaque côté, nous enthousiasma. Nous mîmes pied à terre et descendîmes la plage de galets vers le bord de l’eau jusqu’à ce que les vagues vinssent se briser sur nos bottes »2Rommel repassa aux Petites Dalles le 4 avril 1944 lors d’une tournée d’inspection..

Les Allemands occupent dès lors le hameau. Yvonne Rodary, habitant l’Épine, décrivait ainsi la situation : « On ne pouvait atteindre la mer que par une chicane barrée de fils barbelés. Seuls quelques pêcheurs du pays et quelques rares estivants avaient l’autorisation d’y passer, soigneusement contrôlés à l’aller comme au retour ».

Les maisons non habitées sont pillées ou vidées de leurs meubles. Paul Wallon, occupant Les Chrysanthèmes, apprend ainsi que son piano a été déménagé par les Allemands dans une autre villa. Il est scandalisé et écrit aussitôt une lettre indignée au maire de Saint-Martin exigeant, compte tenu des termes de l’armistice signée entre l’Allemagne et la France, que le piano soit remis à sa place. Et, oh miracle, le piano retrouve sa place aux Chrysanthèmes !

D’autres habitations sont même minées et leurs propriétaires, bien qu’habilités à s’en approcher, ne peuvent plus dès lors y pénétrer.

Jusqu’en 1942, la présence des troupes allemandes s’avéra cependant inconstante et rendait encore possible, par moments, l’accès des propriétés proches de la mer. Souhaitant ainsi se rendre compte de l’état des maisons familiales à cette époque, Simone Wallon nous laissa ce témoignage :

« Je peux aller aux Petites Dalles avec mon oncle Georges, entre deux passages de troupes allemandes, pour essayer de sauver ce qui peut l’être, tant aux Mouettes qu’aux Chrysanthèmes : train jusqu’à Yvetot, taxi jusqu’à Sassetot où l’hôtel du Commerce, actuelle pharmacie, nous accueille au soir de notre arrivée.
Ah le bon dîner : soupe, omelette, confiture et pain presque à volonté ! Le lendemain, tout ce qui est transportable, meubles subsistants, piano, quelques chaises, est mis en sûreté (relative) chez la blanchisseuse, notre gardienne. Tout ce qui relève du petit mobilier, porcelaine, linge de maison, etc. a disparu.
L’annexe des Chrysanthèmes s’orne d’un écriteau : Kommandantur. Au bord de mer, l’hôtel des bains, la tour, les villas les plus proches de la plage sont en partie en ruines. »

Certaines villas furent en contrepartie relativement épargnées, celles notamment où résidaient les officiers allemands (Les Catelets, Les Marronniers, Les Charmilles,…).

À partir de 1942, le contexte change radicalement. Le Mur de l’Atlantique devient une réalité et les Allemands, craignant désormais un débarquement des troupes alliées, font évacuer définitivement la partie du village proche de la mer et ériger toute une série d’ouvrages défensifs. Pour ce faire, tous les matériaux utilisables sont alors récupérés dans les maisons. Les planchers et les poutres servent par exemple de bois de coffrage pour la construction des blockhaus ou autres structures en béton.

Obstacle anti-chars au bas de la Sente des Douaniers

Des villas, comme Les Tamaris ou Les Capucines, sont dynamitées afin de constituer un impressionnant obstacle anti-char en bas de la Sente des Douaniers.

Les repères pouvant servir d’amers pour les bateaux sont systématiquement détruits : La Tour Fiquet, le Grand Hôtel des Bains mais aussi le hangar à bateaux, situé sous la villa Elisabeth et très reconnaissable à l’époque avec ses quatre grandes arches, étaient de ceux-là !

De nombreux obstacles anti-débarquement (pieux, tétraèdres en béton,…) sont également disposés sur la plage elle-même.

Enfin, un gigantesque fossé est creusé en travers de la valleuse. Il s’étend du haut de la Route des Prés à la Ferme des Bruyères et vise à empêcher tout accès à celle-ci depuis l’intérieur des terres.

Pierre Wallon, dans son livre consacré aux Petites Dalles, rappelle cependant que, curieusement, c’est pendant toute cette période qu’ont été réalisés les travaux d’amenée d’eau courante au village. Ils avaient en effet été programmés avant le début du conflit et intéressaient, pour leurs propres besoins, les unités allemandes stationnées dans la valleuse. Ils permettaient également aux maires des communes environnantes de saisir l’occasion, en employant ainsi des jeunes sur ces chantiers, de les soustraire au Service de Travail Obligatoire en Allemagne (STO). Bien que contraints et forcés ainsi d’obéir, certains d’entre eux n’avaient alors pas trouvé d’autres moyens de résister qu’en allant détruire la nuit ce qui avait été construit dans la journée afin de retarder au maximum l’avancement des travaux.

Enfin, en février 1944, le village est définitivement et complètement évacué. Cet ordre, donné le 28 février, occasionna un départ sinistre, chacun essayant, dans un pays couvert de neige, d’emporter ce qu’il pouvait dans des voitures d’enfants, dans des charrettes à bras ou à chevaux.

Défenses anti-débarquement disposées sur la plage

Désormais, personne ne pouvait plus entrer aux Petites Dalles. Le village
déserté fut entièrement miné, comme d’ailleurs toute une zone de deux kilomètres de profondeur établie le long du Pays de Caux. Le pays sera finalement libéré autour du 20 août 1944. Les Petites Dalles sont défigurées. Les maisons du bord de mer sont en ruines. Beaucoup de toits sont délabrés, les poutres et les solives ayant été enlevées.

Il n’y a plus aucun moyen de transport, les trains ne fonctionnent plus. Il ne reste que la bicyclette. C’est donc en vélo que Simone Wallon notamment fait à nouveau le trajet depuis Paris et décrit son arrivée aux Petites Dalles : « Nous nous retrouvons chez M. et Mme Duclos3M. et Mme Duclos étaient boulangers aux Petites Dalles avant le conflit et le sont restés jusqu’en 1960, date de leur départ en retraite., désormais installés Grand-Rue à Saint-Martin-aux-Buneaux. Tout le pays est miné, mais M. Duclos nous indique un chemin pour descendre aux Petites Dalles sans trop de danger.
Le village est plongé dans un silence absolu ; il n’y a âme qui vive. La rue est jonchée de débris de porcelaine, de morceaux de bois, de chiffons. C’est impressionnant.
Dans le jardin des Chrysanthèmes, les poiriers en espalier sont couverts de fruits bien tentants ! En essayant de les cueillir, une mine explose, mais, probablement mouillée, ne fait aucun dégât. C’est une leçon et on ne fait pas d’autres tentatives, tous les jardins sont minés. Par contre, dans la rue, les mines sont faciles à repérer, car bien visibles, le goudron ayant été enlevé pour les mettre en place ».

La priorité pour permettre à la vie de reprendre progressivement devait donc être donnée aux opérations de déminage. L’essentiel de ce travail fut effectué par des prisonniers de guerre allemands et réalisé au cours des années 1945-1946… mais encore dernièrement des opérations de destruction de blocs de béton retrouvés dans les rochers et sur les Catelets ont dû être supervisées par la Préfecture Maritime.

Quant aux maisons, elles furent lentement reconstruites, certaines à l’identique, d’autres dans des configurations entièrement nouvelles. D’autres enfin trop endommagées ont définitivement disparu ; ce fut le cas en particulier de la Tour Fiquet et du Grand Hôtel des Bains, qui firent place au parking et au terrain de jeux.

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    Le port de Dieppe avait été rendu inutilisable après l’offensive allemande sur la Somme, de peur qu’il tombe entre leurs mains.
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    Rommel repassa aux Petites Dalles le 4 avril 1944 lors d’une tournée d’inspection.
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    M. et Mme Duclos étaient boulangers aux Petites Dalles avant le conflit et le sont restés jusqu’en 1960, date de leur départ en retraite.