Un égyptologue aux Petites-Dalles : le roi Lauer

Je crois que le souvenir de mon grand-oncle, l’égyptologue Jean-Philippe Lauer (1902-2001), est encore assez vivace aux Petites Dalles. Mais je crois aussi que l’on ne se souvient pas du « grand maître des pyramides » 1Ainsi fut-il surnommé en 1985 par l’égyptologue allemand Rainer Stadelman. Le surnom de « roi Lauer » lui fut attribué par les visiteurs de son site de Sakkara, peut-être dans le sillage de sa fille Florence. indépendamment de son épouse Marguerite, dite « Mimi », l’une des sœurs de mon grand-père Marc Jouguet, et l’une des filles de mon arrière-grand-père Pierre Jouguet (1869-1949), papyrologue et historien célèbre, spécialiste de l’influence grecque dans l’Égypte ptolémaïque et romaine.

Si Jean-Philippe était discret, perdu dans ses méditations désertiques 2Sa fille Florence disait : « Mon père est un personnage que j’ai toujours vu de dos. De dos à son bureau quand il sortait de ses poches des tas de pierres qui nous intriguaient. De dos quand il partait sur son chantier avec sa boîte à thé anglais percée. », Mimi était la pétulance même, tempérée par une force morale hors du commun. Jean Leclant (1920-2011), l’un des plus éminents égyptologues et orientalistes français, qui accompagna le couple dans un grand voyage en Nubie en 1963, se souvient : « Mimi est une femme exquise. C’est une personne extrêmement joviale et gaie et qui, en plus, adore chanter. Aussi, le soir à la veillée, elle nous offrait tout son répertoire de chansons populaires ! J’ai gardé un souvenir merveilleux de ce voyage avec les Lauer ».

Ils formaient un couple nécessaire, indissociable, sur un nombre inquiétant de bases contradictoires, de socles branlants pour l’éternité, de jointures psychologiques improbables. Bref : un couple de la plus ancienne Égypte, taillé dans les blocs calcaires d’Imhotep, le premier grand architecte-bâtisseur de l’humanité, dont Jean-Philippe était la réincarnation 3Certains osent dire « peut-être »…. Cependant, tous deux avaient en commun une caractéristique physique frappante : l’extrême gracilité (ici, il faudrait non plus évoquer la pierre dure, mais le cristal) alliée à une extraordinaire solidité et endurance.

Le couple Lauer

À un âge si canonique que ses ouvriers pensaient que Dieu l’avait oublié, Jean-Philippe, droit comme un Horus hiéroglyphique, parcourait son site de Sakkara 4Le complexe funéraire du Roi Djoser, sur lequel nous reviendrons. au pas de jeune homme, et c’est à Tintin que ses petits-enfants l’avaient judicieusement comparé. Mimi, de son côté, après les épreuves de la Seconde Guerre mondiale — en 1944, « ayant dû se priver se tout pour nourrir sa famille, elle avait terriblement maigri et, à trente-sept ans, elle n’était plus que l’ombre d’elle-même », écrit Claudine Le Tourneur d’Ison —, consacre sa vie aux aveugles, avec une énergie qui la propulsera au début de notre siècle. Cette photographie montre le couple Lauer déambulant sur les planches, aux Petites Dalles, en direction de la cabine n° 7 : la colonne et son ombre portée.

L’œuvre de Jean-Philippe Lauer

C’est un peu par hasard et par chance que Jean-Philippe débarque pour la première fois en Égypte, aussi rayonnant que le dieu Râ. Nous sommes à la fin de 1926. Quelques mois auparavant, le jeune homme est plutôt taciturne. Ses études d’architecture aux Beaux-Arts de Paris s’achèvent, mais que vont-elles lui offrir ? « L’architecture était totalement paralysée en France […] plus personne n’investissait dans la construction. Je songeais à partir pour l’Amérique latine ou le Maroc, des pays où il y avait beaucoup à faire », se souvient Lauer. C’est alors qu’une lettre, expédiée par la Destinée, tombe sur son bureau. Son cousin architecte Jacques Hardy l’informe que Pierre Lacau, le directeur du Service des antiquités égyptiennes (basé au Caire), recherche un jeune homme compétent pour seconder, sur le site de Sakkara, l’archéologue anglais Cecil M. Firth. Un contrat de huit mois est signé : il sera prolongé… l’espace d’une vie.

Sakkara (ou « Saqqarah » 5« Sakkaraperpétuerait le nom de Sokar, le dieu des morts de la première capitale de l’Égypte unifiée, Memphis », précise Claudine Le Tourneur d’Ison.), situé à une trentaine de kilomètres au sud du Caire, est un nom de village appartenant à la vaste nécropole memphique. C’est là qu’un des premiers pharaons, Djoser (ou « Djéser » ou encore « Zoser »), de la IIIe dynastie de l’Ancien Empire 6Vers –2600 ou –2700, a fait ériger l’une des premières architectures monumentales de l’humanité : la pyramide à degrés de Sakkara, son tombeau. Imhotep, personnage mythique, divinisé à l’époque saïte 7Correspondant à la XXVIe dynastie, entre –664 et –525. Période de renouveau économique et culturel au sein d’une « Basse Époque » (–750/–332) tourmentée par des invasions préludant à la décadence de la civilisation pharaonique., assimilé par les Grecs à Asclépios (le dieu de la médecine), Premier ministre et conseiller de Djoser, fut l’architecte non seulement de cette pyramide, mais de tous les édifices (temples, colonnades, mur d’enceinte, etc.) du complexe funéraire s’étendant autour d’elle, sur une surface rectangulaire de 544 mètres de long et 277 mètres de large.

Mimi et Jean-Philippe devant leur petite maison de Sakkara.
Mimi et Jean-Philippe devant leur petite maison de Sakkara.

En 1926, lorsque Jean-Philippe Lauer s’installe à Sakkara (dans une petite maison que Firth lui a construite), le site de Djoser-Imhotep est facile à décrire : une pyramide de 60 mètres de haut environ, à six gradins, entourée d’une zone sableuse pleine de reliefs, où le rectangle marquant le mur d’enceinte est bien visible 8Voir la photo aérienne prise en 1924, dans les mémoires de J.-P. Lauer (Je suis né en Égypte il y a 4 700 ans, Albin Michel, 2000) ; dans Sakkarah, les monuments de Zoser (E. Drioton & J.-P. Lauer, Imprimerie de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, 1939), la qualité de cette photographie est meilleure, mais l’opuscule est certainement difficile à se procurer..

La pyramide a tout de même fait l’objet de plusieurs prospections durant le XIXe siècle : en 1821 par l’ingénieur italien Segato accompagnant le général prussien Heinrich von Minutoli, qui s’empresse, au retour, de perdre dans un naufrage des quantités d’objets prélevés dans la pyramide ; en 1837 par les Anglais J. S. Perring (ingénieur) et Howard Vyse (colonel) ; et encore en 1842-1843 par l’égyptologue Karl Richard Lepsius. Les galeries sont minutieusement explorées : on en dresse les plans, on réalise des relevés précis. Perring reproduit même les hiéroglyphes d’un chambranle de porte : Vyse y déchiffre un nom, « Neteri-Khet » — ou « Néferkhet ». Bien que ce nom soit répété, on n’y prête pas l’attention qu’il mérite : car, ainsi qu’on le découvrira plus tard, Neteri-Khet et Djoser ne font qu’un, et ce que Perring et Vyse avaient eu sous les yeux n’était autre que la titulature complète du roi 9Ce ne fut qu’en 1890 que la publication de l’inscription permit à Steindorff de reconnaître en Néferkhet le Zoser des listes royales. » (E. Drioton, in op.cit., p. 7)

Les premières fouilles dans le complexe funéraire entourant la pyramide ne sont entreprises qu’à partir de 1924, par Cecil Firth. Les seuls documents de travail sur lesquels il peut s’appuyer sont les deux plans de la nécropole esquissés par Lepsius et Jacques de Morgan au siècle précédent. Ceux-ci avaient noté que deux fortes buttes pouvaient bien correspondre à des pyramides de reines. Selon l’heureuse formule de Lauer, « à Sakkara, les dunes ne sont jamais innocentes »… Firth dresse l’oreille puis se met sérieusement au travail. Après avoir constaté que les fameuses buttes ne recouvraient pas des pyramides, mais d’étonnantes colonnes cannelées en calcaire blanc, il met au jour (sur le flanc nord de la pyramide) le serdab de Djoser 10Le « serdab » (signifiant « couloir » ou « galerie souterraine » en arabe) désigne un ensemble de « pièces aménagées dans les mastabas de l’Ancien Empire, ou des réduits dans les temples royaux, destinés à contenir les statues des défunts. » (Claudine Le Tourneur d’Ison, Lauer et Sakkara, Tallandier, 2000, p. 142) avec sa statue parfaitement intacte, aujourd’hui conservée au Musée égyptien du Caire.

Les découvertes s’enchaîneront, bientôt avec le concours de Jean-Philippe Lauer : au sud-est de la pyramide, une vaste cour rectangulaire avec plusieurs édicules mystérieux (des autels destinés aux sacrifices, peut- être) et divers autres éléments architectoniques, des temples, deux « maisons » présentant des fragments de façades et d’innombrables restes de colonnes 11Ces « Maison du Nord » et « Maison du Sud », nous précise Lauer, « figuraient vraisemblablement deux palais ou deux sanctuaires ayant trait l’un à l’Égypte du Nord et l’autre à celle du Sud. » (Sakkarah, les monuments de Zoser, p. 17), l’extraordinaire colonnade d’entrée, longue de 70 mètres, scandée par les ruines de ses quarante colonnes fasciculées, et débouchant sur une salle rectangulaire portant les vestiges de huit colonnes du même type, la cour du Heb-Sed et ses pans de chapelles ornées d’élégantes colonnettes d’un style inédit 12Le « Heb-Sed », fête-jubilé remontant à la préhistoire, était destinée à retracer, dans un décor factice, la cérémonie d’intronisation du roi. Au temps des premiers pharaons, donc de Djoser, cette fête était essentiellement symbolique, car liée à la survie de l’« âme » du pharaon (le « ka ») dans l’au-delà. Certes, le Heb-Sed avait comme fonction première de réaffirmer le pouvoir terrestre du roi sur la Haute et la Basse-Égypte, mais sa dimension était métaphysique. Dans cette cour édifiée par Imhotep, nous rappelle Claudine Le Tourneur d’Ison, « l’évocation des façades extérieures devait suffire au ka et à ses cortèges de l’autre monde pour suivre leurs pérégrinations à travers le chemin des âmes. Après les funérailles, mis à part le service des offrandes, il ne se déroulait plus aucune cérémonie dans ce complexe monumental qui devenait un domaine purement idéal. » (Une passion égyptienne, p. 53) ; sous la pyramide à degrés — dont les galeries n’avaient été que partiellement reconnues — Firth découvre en 1929 (l’année où Mimi et Lauer se marient en l’église Saint-Sulpice 13Lors du déjeuner préludant au mariage et réunissant les deux familles, Lauer et Jouguet, Jean-Philippe avait réservé un somptueux cadeau à Mimi. « J’eus la surprise, se souvenait-elle avec émotion, de découvrir, dissimulé sous ma serviette de table, un bijou splendide, une broche en diamants que Jean-Philippe avait lui-même dessinée. Ce geste d’une rare délicatesse me bouleversa. ») deux chambres décorées de faïences bleues, l’une comportant trois stèles de Djoser, l’autre trois panneaux sur piliers, que Lauer remit plus tard au Musée du Caire.

L’année précédente, c’est dans le cénotaphe du pharaon, adossé au mur d’enceinte sud 14Le cénotaphe est le tombeau symbolique du roi. Si son corps est placé dans une chambre sous la pyramide, son ka est abrité dans une chambre similaire construire à l’extérieure de la pyramide. Ici, pas de corps, mais plusieurs représentations en relief du roi, sur stèles., qu’eut lieu la scène la plus tintinoïde de toute la carrière de Lauer. Descendant dans le puits du tombeau, Firth et son jeune assistant sont arrêtés par une porte murée extrêmement prometteuse. Les ouvriers y creusent un passage à l’intention du maître. Mais celui-ci, souffrant d’embonpoint, reste coincé : « Je me souviens, confie Lauer, d’avoir retenu un fou rire en regardant ce pauvre Firth dont une moitié avait disparu dans la brèche et que les ouvriers tentaient, en le poussant par-derrière, de faire passer de l’autre côté. Mais rien à faire […] Il fallut le tirer par les pieds pour le sortir de là. » L’Anglais, poussiéreux, n’a pas le choix : c’est son jeune et fluet disciple qui franchira la porte.

Il faut laisser ici le soin à Jean-Philippe Lauer ne nous lire le plus savoureux passage de la bande dessinée : « Je me suis immédiatement glissé dans la brèche et j’ai plongé dans le trou, une bougie à la main. Je suis retombé deux mètres plus bas dans une antichambre où personne depuis quatre mille ans n’avait pénétré. Lentement, je me suis redressé en levant la bougie pour explorer l’espace où je me trouvais. Le cœur battant, je franchis une première salle avant de parvenir à un étroit passage. J’entrai alors dans une pièce oblongue très bien appareillée. Soudain, je m’écriai, à l’intention de Firth : “Oh ! Il y a une porte avec le protocole du roi comme dans la pyramide à degrés !” Dans une salle oblongue et perpendiculaire à la précédente, six panneaux […] avaient perdu la majeure partie des faïences bleues qui les recouvraient. Brisées, elles gisaient sur le sol 15C’est Mimi et Mrs Firth qui remirent en place ces faïences. Avant de les réajuster sur les panneaux, il fallut les nettoyer. Les deux femmes les mirent à tremper dans des bacs d’eau, chez les Firth. Alors, raconte Mimi, un soir en arrivant devant la maison « j’entendis des chants d’oiseaux. Quand Firth apparut, je lui dis : “Vous avez des oiseaux maintenant ? Comment se fait-il qu’ils chantent encore à cette heure-ci ?” Amusé, Firth m’emmena dans la pièce d’où venaient les cris stridents. Je découvris alors avec stupéfaction que l’objet de ma frayeur venait de nos faïences bleues, tellement sèches après des millénaires sous terre qu’au contact de l’eau elles s’étaient mises à produire un sifflement tout à fait surprenant ! . Un autre passage ouvrait sur une seconde chambre oblongue et je vis alors trois stèles recouvertes de reliefs d’une remarquable finesse. Fou de joie, je me mis cette fois à hurler : “C’est formidable, il y a des stèles ! Trois stèles !” “J’arrive ! J’arrive !” hurla Firth à son tour, tandis que les ouvriers redoublaient d’ardeur et tapaient de plus belle pour élargir la brèche à ses dimensions. En l’attendant, je tendais ma bougie vers les points d’ombre — on ne pénètre jamais dans un tombeau avec une lampe électrique. La bougie permet de détecter le manque d’oxygène. Quand elle s’éteint, c’est qu’il est grand temps de sortir ! […] Firth fut enfin à mes côtés. Les yeux exorbités, comme moi pétri d’émotion, il contemplait les stèles. Elles étaient magnifiques. L’une d’elles représentait le roi Djoser effectuant la course du Heb-Sed. Nous venions de découvrir le cénotaphe de Pharaon. »

Jusqu’en 1959, le travail de Jean-Philippe Lauer fut presque exclusivement consacré aux fouilles et aux reconstitutions dans le complexe funéraire de Djoser à Sakkara. Après le brutal décès de Firth, en 1930, les prospections se poursuivent dans la pyramide, en compagnie de l’égyptologue anglais James Edward Quibell 16Pierre Lacau, égyptologue, philologue (illustre élève de Gaston Maspero), alors directeur du Service des Antiquités de l’Égypte au Caire, estimait que les travaux publiés sur la pyramide souffraient de lacunes. Il parvint à faire revenir Quibell, qui coulait en Angleterre une retraite méritée. Lacau, se souvient Lauer, était possédé par une rigueur et une volonté farouches, qui le « faisait régner en maître » sur le monde de l’égyptologie. « Au Service [des Antiquités], ajoute-t-il, on l’appelait “Dieu le Père” dès qu’il avait le dos tourné, à cause de sa grande barbe. » Je suis persuadé que mon grand-oncle, qui devait certes à Lacau son embauche à Sakkara, mais qui était surtout d’une extrême élégance, transforme ici quelque chose comme « caractère tyrannique » en « grande barbe »…. Sous la chambre des stèles, les deux hommes tombent sur deux sarcophages d’albâtre dont l’un contient les ossements d’un enfant de huit ans : le tombeau de Djoser révèle ses secrets par fragments, puis, d’un coup, par tombereaux, quand dans une galerie adjacente, c’est toute la vaisselle royale qui manqua les ensevelir… 

Une galerie, se souvient Lauer, « remplie de vaisselle depuis le sol jusqu’au plafond […] Son déblaiement, et celui de six autres galeries situées parallèlement plus au sud — seules les deux premières étaient remplies de vaisselle — nous demanda quatre campagnes de travaux, de 1933 à 1936 ». Cette vaisselle comportait plusieurs centaines de vases 17« En albâtre, en schiste bleuté du Ouadi Hamamât, en brèche rouge d’Assiout, en roche porphyrique ou en granit d’Assouan », précise Claudine Le Tourneur d’Ison. intacts, mais surtout des milliers de fragments qui remplirent 6000 caisses !

La liste des objets trouvés sur le site ne s’arrête évidemment pas là 18Citons encore, et entre autres trouvailles : un pied momifié de Djoser, un sceau faisant référence à Imhotep dans la chambre de la reine (sous la pyramide), et d’autres découvertes dans des pyramides avoisinantes, comme celle d’Ouserkaf ou celle d’Ounas. Après la guerre, escaladant la grande pyramide de Chéops avec ses deux fils, Jean-Philippe est brusquement arrêté par une question : « C’est quand même curieux que, depuis le temps qu’on fouille ici, personne n’ait jamais retrouvé trace du temple de la pyramide. » Méditatif, il jette un regard absent vers le bas, et que voit-il ? Le temple, parfaitement dessiné dans les sables…. Mais c’est ici qu’il faut bien comprendre une chose : ce qui importait par-dessus tout aux yeux de Lauer, c’était la reconstitution des architectures à partir de leurs éléments d’origine, travail (ou art) appelé « anastylose ». Reflets tant de sa probité scientifique que morale, ses mots d’ordre étaient : protéger, préserver, conserver.

Au cœur de son travail, une lutte acharnée contre la trahison envers le passé architectural, culminant dans la contrefaçon : « On en arrive, disait-il, à des choses, comme à Cnossos, où l’on a reconstitué entièrement le temple de Minos au point qu’on ne sait plus ce qu’il y a de fantaisie et ce qu’il y a de vrai. » Enveloppée dans la passion de remonter à l’identique l’œuvre d’Imhotep, se tient d’abord une passion pour la droiture et la vérité : « Je me suis pris au jeu de ce gigantesque puzzle au point d’être “possédé”. L’univers s’était raccourci à un champ de ruines qui hantaient mes jours et mes nuits. Alors dès que je recréais une forme, dès qu’une ébauche d’architecture se révélait à moi, j’entrais dans un état d’exaltation proche du délire ! »

Si, à partir de 1951, Lauer délaisse un peu Imhotep pour les « pyramides à textes » 19Dans le cadre d’une mission initiée par Lacau et dont Jean Sainte Fare Garnot (1908-1963) — puis Jean Leclant à partir de 1964 — et Jean-Philippe Lauer assurèrent la direction, il ne délaisse pas, se faisant, l’essence même de son travail. Car, que ce fut dans la pyramide de Pépi Ier ou dans celle de Mérenrê 20Deux pyramides à faces lisses, situées à Sakkara. Les rois en question appartiennent à la VI° dynastie (2374/2140) ; ils ont donc régné environ 500 ans après Djoser., il s’agissait de remettre à leur place initiale les blocs (gisants en fragments) gravés de hiéroglyphes 21Ces textes, précise Philippe Flandrin, « représentent le plus ancien corpus religieux de l’humanité » ; d’eux, ajoute-t-il, « il ne faut pas attendre qu’ils nous apportent des révélations sur les événements qui se déroulaient à l’époque de leur rédaction dans l’Égypte de l’Ancien Empire. Ce sont des formules d’incantations magiques, qui devaient être récitées au moment de la mort du roi pour l’aider à gagner l’éternité. » : du puzzle, toujours du puzzle, nécessitant des qualités de patience, de calme et de persévérance hors du commun.

Bien sûr, Jean-Philippe Lauer acquit, sur les pyramides, une connaissance phénoménale qui fit l’admiration de la communauté scientifique et le régal des amateurs d’égyptologie, surtout quand parut, en 1974, le grand ouvrage de synthèse, Le mystère des Pyramides, trois fois réédité 22Et traduit en allemand, en 1988.. Mais, chez Lauer, le concret de la reconstitution l’emportait sur l’abstrait des hypothèses — le théorique, au fond, n’étant toujours qu’un auxiliaire du pratique. Et puis l’homme, architecte avant tout, aimait d’abord la matière ainsi que la dimension manuelle et « empirico-intuitive » du travail. Comme Imhotep, Lauer fut un bâtisseur 23Il a retrouvé un sceau nommant Imhotep le « charpentier », ou le « constructeur » ; une autre titulature le consacre « grand maître des charpentiers, des fabricants de vases, des graveurs. » Lauer commente : « Ce sont des charges directement en rapport avec les grands travaux qui ont présidé à l’édification de la pyramide à degrés. C’est lui qui dirige ces travaux et, ce faisant, pose les fondations de l’Ancien Empire. C’est un rôle comparable à celui qu’a joué Colbert auprès de Louis XIV lorsqu’il créa l’État moderne, et le Louis XIV d’Imhotep, c’était Djoser ! », ou plutôt un « re-bâtisseur », puisque ce qui représenta à ses yeux son œuvre (LE travail pour lequel il faudrait se souvenir de lui), c’est l’anastylose effectuée dans le complexe funéraire de Djoser édifié par Imhotep.

Jean-Philippe Lauer surmontant la frise de cobras.
Jean-Philippe Lauer surmontant la frise de cobras.

Il faut, pour se rendre compte au mieux de cette entreprise d’autant plus titanesque qu’elle ne fut menée, pour ainsi dire, que par un seul homme 24N’oublions pas, naturellement, les équipes d’ouvriers à son service, menées par le « raïs », le conducteur des travaux. Longtemps il y eut des enfants qui, se souvenait Lauer avec un brin de nostalgie, « chantaient presque tout le temps en travaillant, et se déchaînaient dès qu’ils voyaient des visiteurs, particulièrement lorsqu’il s’agissait de visiteurs de marque. » — ou à défaut de visiter le site —, feuilleter le superbe ouvrage composé par Claudine Le Tourneur d’Ison : Lauer et Sakkara 25cf. infra, bibliographie.. Vous y verrez notamment la reconstitution des chapelles dans la cour du Heb-Sed, celle de la frise de cobras sculptés en haut du mur de façade du tombeau Sud, l’anastylose des « colonnes-papyrus » de la Maison du Nord 26Les constructions égyptiennes, avant Imhotep, utilisaient la brique crue, le bois et parfois le roseau. Si Imhotep change la matière en introduisant la pierre dure, il conserve au mieux les formes existantes. « C’est ainsi, précise Lauer, que j’explique les proportions si élancées des colonnes qui représentent des poteaux de bois cannelés ou des faisceaux de tiges de palmes » (référence aux « colonnes-papyrus »). ou la reconstitution de la monumentale entrée dans le sanctuaire, sur le mur d’enceinte Sud.

Mais le grand morceau de bravoure de Lauer, c’est la restauration de l’immense colonnade d’entrée : « l’œuvre dont je suis le plus fier », disait-il. À son arrivée en 1926, il découvre cette colonnade exhumée par Firth, qui se réduit à une série de bas de colonnes. Au terme d’un travail de fourmi — il faut, avant de faire le puzzle, retrouver les pièces, les analyser, les classer en les rapportant (une erreur et tout est fichu) au bon endroit de la bonne colonne ! 27Voir les détails de sa méthode (notamment l’usage de calques) dans Une passion égyptienne(p. 133) ou dans Je suis né en Égypte il y a 4 700 ans (p. 176-179) — la galerie est en grande partie reconstituée, et il sera particulièrement fier d’y faire déambuler le président Chirac, lors de sa visite à Sakkara en 1996. « Parvenir à reconstituer la colonnade d’Imhotep, ce fut pour moi comme si j’avais découvert le trésor de Toutânkhamon ! »…

Retour aux Petites Dalles

Tous les ans, de juillet à octobre, en raison de l’extrême chaleur qui empêchait le travail à Sakkara, Jean-Philippe Lauer retournait en France. Une routine qui ne fut contrariée que deux fois : durant la Seconde Guerre mondiale (de 1939 à 1945) puis de 1956 à 1959 en raison de la crise du canal de Suez. Rappelant ses fonctions de camoufleur lors de la guerre 28Basé à Lunéville au service de la IVe armée, Lauer camoufla « toutes sortes de choses : des pistes de ravitaillement, des blockhaus, des batteries d’artillerie, etc. », puis même des avions (ceux épargnés par la destruction au sol des Allemands)., Lauer écrit avec beaucoup d’humour : « Le plus cocasse dans cette histoire, c’est que je fus souvent obligé de faire exactement l’opposé de ce que je faisais depuis des années à Sakkara : là-bas j’exhumais, ici j’enterrais ! ». Dans les intervalles plus calmes, il poursuit ses travaux à Paris, y rédigeant Le problème des pyramides d’Égypte et construisant une vaste maquette du complexe funéraire de Djoser 29À l’échelle d’un centimètre par mètre !. Lors des événements de Suez, il fut maître de recherches au CNRS : « intéressant », commente-t-il… On l’a compris : sevré de Sakkara, Lauer trépigne. Il avoue très vite : « L’Égypte me manquait terriblement. J’étais parvenu, avant de partir, à achever en grande partie l’entrée du mur d’enceinte […] Il me restait encore à reconstituer les chapelles de la cour du Heb-Sed. »  30Le programme de travail que Lauer s’était très tôt fixé à Sakkara était immense, et il était le mieux placé pour en avoir une conscience aiguë. Jamais, même à partir de sa retraite professionnelle en 1974 (ce mot de « retraite » n’avait naturellement aucun sens à ses yeux), il ne ralentit le rythme. À 93 ans, il disait du site : « J’ai encore tant à faire là-bas ! »…

Marguerite et Jean- Philippe Lauer passaient un mois d’été aux Petites Dalles. Ils arrivaient le 14 juillet, et repartaient le 15 août en direction de la Touraine. Mimi explique : « Comme nous n’avions pas de pied-à-terre à Paris, nos vacances se partageaient entre la Harlandière, le manoir de mes beaux-parents en Touraine, une exquise demeure du XVIIIe siècle, et les Petites Dalles, la propriété de mes parents en Normandie31Achetée par Pierre Jouguet en 1905. Professeur à Lille, il se dit que l’endroit serait idéal pour passer l’été en famille. Que le dallais qui trouve l’idée idiote me jette le premier galet…, une maison pleine de charme et débordante de livres. » J’étais petit, mais je garde un souvenir assez vif des Lauer, qui étaient rarement seuls tous les deux dans cette maison des « Villas Saint-Jean » 32La maison, jumelle, était Jouguet au 104 D, et Lauer au 104C. Avant le rachat par mes parents de la « partie Lauer » en 1982, je résidais naturellement, avec mon frère et mes parents, « côté Jouguet », chez mes grands-parents, Yvonne et Marc. Mais, les deux parties communiquants directement, le transit Jouguet Lauer et Lauer Jouguet était constant durant l’été.

Les Lauer dans leur maison des Villas Saint-Jean aux Petites Dalles.

Les petits-enfants, surtout, venaient beaucoup. Il y régnait une joyeuse agitation, assez haute en couleur, et les couleurs de ce temps restent pour moi le jaune, le rouge et l’orange. Car la délicatesse en matière de décoration, Mimi l’avait laissée dans la maisonnette de Sakkara. Aux Petites Dalles, aux antipodes esthétiques des soieries indiennes, des marqueteries de nacre et des cuivres finement ciselés 33Une passion égyptienne, p. 112., les rampes de l’escalier, si criardement peintes qu’on ne voyait plus qu’elles ; à chaque étage, une agression chromatique : jaune/orange/rouge, je ne sais plus dans quel ordre (ou désordre). Mais pour un gamin, cela avait un charme fou 34Si, à Sakkara, Mimi était dans la finesse des broderies et des reliures (elle passa des journées à relier des livres) et, aux Petites Dalles, dans un relâchement assez bohème, Jean-Philippe, un peu similairement, perdait au 104C tous ses talents manuels d’architecte. Il ne fit aucun travaux dans la maison, mais un jour, il voulut réparer un volet endommagé. Le volet lui resta dans les mains.

Au milieu de ce tumulte fantasque, Jean-Philippe restait aussi hiératique qu’une colonne d’Imhotep. On le voyait peu, car il travaillait naturellement une grande partie de la journée. En bon égyptien de l’Ancien Empire égaré dans la modernité, Lauer était un homme à rites. Décrire l’une de ses journées d’été aux Petites Dalles, c’est presque décrire toutes les autres.

Avant de se mettre à son bureau, il filait acheter le pain à Sassetot. J’ignore si sa notoriété avait supplanté celle de l’Impératrice, et si, comme à Sakkara, il représentait un monument sacré : « Un jour que je montrais le mastaba de la princesse Idout à quelques amis, se souvient-il, un groupe d’Américains y fait irruption, conduit par un guide qui s’écrie en me voyant : “Tiens voici justement Monsieur Lauer”. Littéralement mitraillé de flashes qui crépitent de tous côtés, je salue de la main et, me frayant difficilement un passage parmi ces photographes amateurs, je passe à côté d’une dame qui me dit presque à l’oreille : “May I touch you?” Je n’ai pu que lui répondre : “O.K., Madame, with pleasure.” ».35Saqqarah, une vie, p. 203-204. Lauer eut des rapports difficiles avec les touristes, qui vinrent toujours plus nombreux à Sakkara à mesure que grandissait sa notoriété médiatique : « Vous comprenez, ils sont bien gentils ces touristes avec leurs appareils, mais ils ne se rendent pas compte que je travaille. Si je commence à dire oui, alors je n’ai plus qu’à passer mes journées à poser pour les photos. C’est enquiquinant, mais enfin c’est parfois aussi touchant. » (op. cit., p. 203)

On connaît la fameuse « promenade du philosophe » Kant à Königsberg, mais on a prêté moins d’attention à celle, aussi rituelle, de l’égyptologue Lauer aux Petites Dalles. Car tous les jours, en fin d’après-midi (après avoir terminé son travail), et exactement à la même heure, Jean-Philippe venait cueillir Mimi à la plage pour la promenade. Prendre ici le « la » en son sens non général, puisque le trajet était invariablement le même : une boucle passant par la chapelle, le bois, la ferme des Bruyères, la mare au gabion, et retour par le sentier des Douaniers. Durant la balade, si le corps de Lauer était aux Dalles, son esprit était à Sakkara. Très « savant Cosinus », il mâchouillait sans cesse des problèmes non résolus.

Longtemps, il médita sur le problème majeur des grandes pyramides — celles de Khéphren et surtout, la plus grande de toutes, celle de Khéops —, à savoir : comment ont-elles pu être érigées ? Partant de l’hypothèse de Diodore de Sicile 36Émise au 1er siècle av. J.-C. dans sa monumentale Bibliothèque historique. d’un usage de rampes en bois pour hisser les blocs de pierre, Lauer approfondit considérablement la question, au point d’aboutir à une explication qui, à ses yeux, était la seule possible. Le « système des rampes frontales », exposé en détail dans plusieurs ouvrages, laissait pourtant sceptiques certains de ses collègues. Or, on vient d’exhumer, sur le plateau désertique d’Hatnoub (non loin de Gizeh), une rampe en bois paraissant destinée au transport des pierres géantes37Voir par exemple l’article du Parisien daté du 10 novembre 2018, « Construction des pyramides : la rampe qui change tout » (p. 12), où la journaliste Aline Gérard, ne mentionne pas le nom de Lauer ! Cela dit, si la technique de la rampe semble confirmée, les égyptologues défendent le modèle « en spirale » (une seule rampe s’élevant de bas en haut de la pyramide au fur et à mesure de sa construction), qui n’était pas celui, « frontal », de Lauer : « Georges Guyon, remarquait-il, a écrit un ouvrage sur les pyramides où il cherche à démontrer que j’ai tort et qu’ils utilisaient une rampe enveloppante. Oui, vraisemblablement pour les petites pyramides, mais certainement pas pour les plus grandes comme Chéops [sic] et Chéphren [sic]. » (Une passion égyptienne, p. 234) Donc, affaire à suivre…… Cependant, Imhotep laissait à Lauer des interrogations autrement redoutables, concernant, disait-il, des « problèmes que je n’ai pu résoudre dans mes reconstitutions. Évidemment, si j’avais pu converser avec Imhotep, ça m’aurait facilité bien des choses. » 38Saqqarah, une vie, p. 220. D’abord, les trois questions suivantes : 1) Dans quel sens étaient placées les architraves recouvrant les colonnades du hall d’entrée ? 2) Le mastaba à partir duquel Imhotep a construit la pyramide à degrés fut-il édifié pour Djoser, ou pour son prédécesseur, l’Horus Sanacht ? 3) Le tombeau Sud a-t-il été construit en même temps que celui de la pyramide ? Enfin, une question principale : quel était le rôle de ce tombeau Sud, étant donné que Djoser avait déjà son cénotaphe plus au sud, à Abydos ? (voir op. cit., p. 223-224)

Ces questions en suspens, peut-être en faisait-il part lors des petites conférences qu’il donnait de temps en temps, dans la maison du 104C, à un auditoire de Dallais privilégiés39Un coup de canif dans le rituel estival ? Non, bien plutôt un rituel nécessaire dans la logique du rituel général.. Privilégiés certes, mais peut-être pas toujours triés sur le volet (cassé). Car, un jour où Lauer présentait son anastylose de la grande colonnade (diapos à l’appui), une dame lança du fond de la salle : « Ah ! Y’a de l’aération ! »…

L’attitude très absorbée dans ses méditations de Jean-Philippe Lauer, je la revois parfaitement. C’était au début des années 1990, lors d’une promenade en forêt à l’Étang-la-Ville 40Dans les Yvelines. Les Lauer y résidèrent assez longtemps, dans un charmant appartement.. Dubitatif devant une Russula heterophylla qui correspondait mal aux descriptions classiques, j’en oubliais mon père et mon grand-oncle qui, en pleine conversation égyptologique, m’avaient eux aussi oublié. Mais, une fois revenu à leur hauteur, deux choses me frappèrent : d’une part l’indifférence totale de Lauer à l’égard de ma passion (on ne garde pas dans les mains une tripotée de champignons bizarres sans, normalement, être un peu questionné) ; et d’autre part son air si singulier, l’air d’être là et de ne pas y être, d’écouter l’autre en même temps que soi-même avec une égale intensité 41Cette manière de « Dieu absent » (comme l’appelait sa fille Florence) se retrouve dans le beau reportage réalisé conjointement par le Musée du Louvre, La Sept-Arte et France 3 en 1996, Jean-Philippe Lauer, Le voyage à Saqqara. L’intégralité du film est visible sur internet dans sa version espagnole. Cette attitude si particulière, et si attachante, s’est intensifiée avec le temps, non en raison de l’âge (car Lauer faisait semblant de vieillir), mais parce que dans les dix dernières années de sa vie, l’ermite de Sakkara42« J’ai vécu comme un ascète. Mais vivre comme un ascète à la manière de Lauer, ça, je n’y suis jamais arrivé ! », confiait Jean Leclant. consacra toutes ses forces vives à la construction d’un « Musée Imhotep », où il pourrait montrer et expliquer son œuvre entière, à travers des objets de fouille et surtout par sa grande maquette du site de Djoser réalisée durant la guerre. « Ce musée, disait- il, est indispensable pour permettre aux néophytes que sont les touristes de comprendre clairement ce que fut l’ensemble de Djoser ainsi que le rôle des derniers vestiges reconstitués depuis un demi-siècle ». Jamais Lauer n’eut à batailler autant avec les administrations et les institutions. Ce n’est qu’en avril 2006 que le musée Imhotep fut inauguré, en présence de Jacques Chirac, et tel qu’enfin Lauer l’avait imaginé, mais… cinq ans après sa mort. La vérité, il faut le dire, est tragique. Après qu’on eut, en 1996, détruit derrière son dos, sur ordre du ministre de la culture égyptienne, le bâtiment qui prenait forme, on inaugura en mars 2000 un musée pour rire, inachevé et trahissant la plupart des désidératas de Jean-Philippe Lauer. « Il resta longtemps silencieux, les yeux rivés sur les murs de béton », se souvient Claudine Le Tourneur d’Ison, qui l’avait accompagné ; « de retour en France, ajoute-t-elle, après ce dernier affront des Égyptiens, Lauer ne parla plus jamais d’Égypte. Au fil des mois, je l’ai vu, pudique et secret, se replier dans le silence de sa douleur. » 43Le Monde, 1er avril 2006

Jean-Philippe Lauer dans la grande cour Sud.

Enfin, le secret, le silence… que sait-on au juste ? Ces traits de caractère, Jean- Philippe les tenait d’abord de son père Philippe, célèbre historien et conservateur en chef de la Bibliothèque nationale. La seule chose qui échappe au mystère à l’intérieur d’un crâne normalement constitué, ce sont les souvenirs. Sous ce rapport, les têtes de Marguerite et Jean-Philippe Lauer étaient bien remplies. Car « leur » Égypte est loin de se réduire aux travaux de Sakkara. Il y eut des voyages invraisemblables, des fêtes somptueuses ou des rencontres fameuses : reines, présidents, militaires, entrepreneurs, écrivains, etc.44La liste est longue. Citons Mary de Roumanie, « cette reine de conte de fées » possédant le plus gros saphir au monde, qui débarqua un matin à Sakkara dans sa Torpédo décapotable ; Édouard Herriot, le laborieux, notant sur un calepin tout ce que lui expliquait le maître, ce qui fit dire, le soir, à Daniel (le second fils Lauer) : « Tu sais papa, j’ai vu le gros bonhomme, et ben tout ce que tu as dit, il l’a écrit sur son gros ventre ! » ; le roi Victor- Emmanuel III d’Italie qui, aux côtés de sa grande femme de reine, ressemblait assez, selon Lauer, à un basset… Il y eut la visite, par deux fois, de Louis Renault, « un monsieur que Mimi ne manqua pas de remettre à sa place » (Une passion égyptienne, p. 159 et p. 160 pour les explications) ; et, parmi les écrivains, deux André : Maurois, qui se fit remarquer par sa distinction, et Gide, par son indistinction. Refusant de visiter le site, il déclara : « J’ai bien d’autres choses à faire que d’aller me promener au milieu de vieilles pierres ! » ; sur quoi Mimi lui rétorqua : « Eh bien tant mieux ! Cela nous fera toujours un raseur de moins… » ; de son côté, Jean-Philippe s’étonna des goûts peu sûrs de Jean Cocteau, « qui se pâmait littéralement devant les représentations les plus maladroites », et de Le Corbusier, dont l’unique élément qui l’émut fut « l’horrible toit en béton » couvrant la grande colonnade, simple protection de fortune contre les intempéries…

Et puis, il y eut Howard Hawks. L’histoire de la venue à Sakkara du célèbre cinéaste hollywoodien ferait à elle seule l’objet d’un film prodigieux 45Il existe déjà un livre relatant cet épisode cinématographique hors proportion : Hollywood sur Nil(Ramsay, 1999 pour la version française), de Noël Howard, l’assistant de Hawks, où l’on trouvera, parmi la description de monuments, celle de Lauer : « De taille moyenne, il était entièrement vêtu de kaki clair. Le blouson et le pantalon étaient certainement choisis volontairement un peu trop larges : un homme qui aime ses aises ; par opposition, la présence d’une cravate de même matière que la chemise et le reste m’inquiétait un peu ; le petit chapeau de paille fine, genre pêcheur à la ligne débonnaire, me rassurait. ». En 1954, Hawks jeta son dévolu sur le site égyptien pour tourner un péplum, La Terre des pharaons. Durant plusieurs mois, la petite oasis de Lauer se transforma en « vraie fourmilière » 46Jean-Philippe Lauer, Je suis né en Égypte il y a 4700 ans, p. 239. Nous conseillons vivement la lecture de ce chapitre hallucinatoire consacré à Hawks : « Hollywood-sur-Nil » (p. 235-240). : l’équipe de tournage et seize mille figurants… En outre, des centaines d’ouvriers furent réquisitionnés pour fabriquer la pyramide du film. Une pyramide de carton-pâte ? Non, une vraie. Et faite dans les règles de l’art Ancien Empire. Lauer conseilla à Hawks de s’appuyer sur la pyramide à degrés de Zaouiêt el-Aryan (au sud de Gizeh), restée inachevée.

Parfait pour le cinéaste, mais parfait aussi pour Lauer : car la reconstitution intégrale de cette pyramide permettrait à l’égyptologue- architecture de vérifier son « système des rampes frontales ». Si Jean-Philippe n’a pas encouragé les anachronismes du réalisateur (notamment la présence de chameaux, en réalité inconnus en cette lointaine époque), je pense que le fait qu’il ait tiré une pyramide à faces lisses du chapeau d’une pyramide à degrés ne le dérangea pas, bien au contraire.

Aux Petites Dalles, quelques personnes ont encore des souvenirs d’adulte, ou d’adolescent, du couple Lauer. Moi, je n’ai que des souvenirs de gosse, mais sans doute sont-ils les plus beaux car, comme les hiéroglyphes sur les blocs de l’ancienne Égypte, ils sont gravés (et non simplement dessinés) dans mon esprit. Là, Lauer n’y représente nullement l’Égypte et les travaux de Sakkara.

Les images et les sons minuscules qui m’occupent sont l’envers du « monumental » dont il s’occupait : je le revois dans le jardin aux petits cailloux, silencieux, bien calé dans son fauteuil de rotin ; j’entends sa voix si particulière, volontaire et fluette à la fois, scandée de « n’est-ce pas ? » d’un autre âge, et que j’ai retrouvée un peu chez Henri Romagnesi, autre monument classé au patrimoine français, de la mycologie cette fois. Nous étions, avec mon frère, ses « petits potirons » : il faut oser l’avouer, n’est-ce pas ?

Bibliographie consultée

DRIOTON, Étienne et LAUER, Jean-Philippe. Sakkarah, les monuments de Zoser. Le Caire, Imprimerie de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, 1939, 24 p. et 66 photographies noir et blanc.

LAUER, Jean-Philippe (avec la collaboration d’Albert Shoucair). Saqqarah, la nécropole royale de Memphis. Tallandier, 1976, 250 p. et 175 photographies couleurs et noir & blanc.

LAUER, Jean-Philippe. Saqqarah, une vie. Entretiens avec Philippe Flandrin. Rivages, 1988, 238 p. et 39 photographies noir et blanc.

LAUER, Jean-Philippe (avec la collaboration de Claudine Le Tourneur d’Ison). Je suis né en Égypte il y a 4 700 ans. Albin Michel, 2000, 272 p. et 16 photographies noir et blanc.

LE TOURNEUR D’ISON, Claudine. Une passion égyptienne : Jean-Philippe et Marguerite Lauer. Plon, 1996, 252 p. et 45 photographies noir et blanc.

LE TOURNEUR D’ISON, Claudine. Lauer et Sakkara. Tallandier, 2000, 146 p. et de très nombreuses photographies couleurs.

Cet article a été initialement publié dans le livret 2019 du Syndicat d’initiative des Petites Dalles. Il est également consultable sur le site internet Les Petites Dalles et la Mémoire des Hautes Falaises.

  • 1
    Ainsi fut-il surnommé en 1985 par l’égyptologue allemand Rainer Stadelman. Le surnom de « roi Lauer » lui fut attribué par les visiteurs de son site de Sakkara, peut-être dans le sillage de sa fille Florence.
  • 2
    Sa fille Florence disait : « Mon père est un personnage que j’ai toujours vu de dos. De dos à son bureau quand il sortait de ses poches des tas de pierres qui nous intriguaient. De dos quand il partait sur son chantier avec sa boîte à thé anglais percée. »
  • 3
    Certains osent dire « peut-être »…
  • 4
    Le complexe funéraire du Roi Djoser, sur lequel nous reviendrons.
  • 5
    « Sakkaraperpétuerait le nom de Sokar, le dieu des morts de la première capitale de l’Égypte unifiée, Memphis », précise Claudine Le Tourneur d’Ison.
  • 6
    Vers –2600 ou –2700
  • 7
    Correspondant à la XXVIe dynastie, entre –664 et –525. Période de renouveau économique et culturel au sein d’une « Basse Époque » (–750/–332) tourmentée par des invasions préludant à la décadence de la civilisation pharaonique.
  • 8
    Voir la photo aérienne prise en 1924, dans les mémoires de J.-P. Lauer (Je suis né en Égypte il y a 4 700 ans, Albin Michel, 2000) ; dans Sakkarah, les monuments de Zoser (E. Drioton & J.-P. Lauer, Imprimerie de l’Institut Français d’Archéologie Orientale, 1939), la qualité de cette photographie est meilleure, mais l’opuscule est certainement difficile à se procurer.
  • 9
    Ce ne fut qu’en 1890 que la publication de l’inscription permit à Steindorff de reconnaître en Néferkhet le Zoser des listes royales. » (E. Drioton, in op.cit., p. 7)
  • 10
    Le « serdab » (signifiant « couloir » ou « galerie souterraine » en arabe) désigne un ensemble de « pièces aménagées dans les mastabas de l’Ancien Empire, ou des réduits dans les temples royaux, destinés à contenir les statues des défunts. » (Claudine Le Tourneur d’Ison, Lauer et Sakkara, Tallandier, 2000, p. 142)
  • 11
    Ces « Maison du Nord » et « Maison du Sud », nous précise Lauer, « figuraient vraisemblablement deux palais ou deux sanctuaires ayant trait l’un à l’Égypte du Nord et l’autre à celle du Sud. » (Sakkarah, les monuments de Zoser, p. 17)
  • 12
    Le « Heb-Sed », fête-jubilé remontant à la préhistoire, était destinée à retracer, dans un décor factice, la cérémonie d’intronisation du roi. Au temps des premiers pharaons, donc de Djoser, cette fête était essentiellement symbolique, car liée à la survie de l’« âme » du pharaon (le « ka ») dans l’au-delà. Certes, le Heb-Sed avait comme fonction première de réaffirmer le pouvoir terrestre du roi sur la Haute et la Basse-Égypte, mais sa dimension était métaphysique. Dans cette cour édifiée par Imhotep, nous rappelle Claudine Le Tourneur d’Ison, « l’évocation des façades extérieures devait suffire au ka et à ses cortèges de l’autre monde pour suivre leurs pérégrinations à travers le chemin des âmes. Après les funérailles, mis à part le service des offrandes, il ne se déroulait plus aucune cérémonie dans ce complexe monumental qui devenait un domaine purement idéal. » (Une passion égyptienne, p. 53)
  • 13
    Lors du déjeuner préludant au mariage et réunissant les deux familles, Lauer et Jouguet, Jean-Philippe avait réservé un somptueux cadeau à Mimi. « J’eus la surprise, se souvenait-elle avec émotion, de découvrir, dissimulé sous ma serviette de table, un bijou splendide, une broche en diamants que Jean-Philippe avait lui-même dessinée. Ce geste d’une rare délicatesse me bouleversa. »
  • 14
    Le cénotaphe est le tombeau symbolique du roi. Si son corps est placé dans une chambre sous la pyramide, son ka est abrité dans une chambre similaire construire à l’extérieure de la pyramide. Ici, pas de corps, mais plusieurs représentations en relief du roi, sur stèles.
  • 15
    C’est Mimi et Mrs Firth qui remirent en place ces faïences. Avant de les réajuster sur les panneaux, il fallut les nettoyer. Les deux femmes les mirent à tremper dans des bacs d’eau, chez les Firth. Alors, raconte Mimi, un soir en arrivant devant la maison « j’entendis des chants d’oiseaux. Quand Firth apparut, je lui dis : “Vous avez des oiseaux maintenant ? Comment se fait-il qu’ils chantent encore à cette heure-ci ?” Amusé, Firth m’emmena dans la pièce d’où venaient les cris stridents. Je découvris alors avec stupéfaction que l’objet de ma frayeur venait de nos faïences bleues, tellement sèches après des millénaires sous terre qu’au contact de l’eau elles s’étaient mises à produire un sifflement tout à fait surprenant ! 
  • 16
    Pierre Lacau, égyptologue, philologue (illustre élève de Gaston Maspero), alors directeur du Service des Antiquités de l’Égypte au Caire, estimait que les travaux publiés sur la pyramide souffraient de lacunes. Il parvint à faire revenir Quibell, qui coulait en Angleterre une retraite méritée. Lacau, se souvient Lauer, était possédé par une rigueur et une volonté farouches, qui le « faisait régner en maître » sur le monde de l’égyptologie. « Au Service [des Antiquités], ajoute-t-il, on l’appelait “Dieu le Père” dès qu’il avait le dos tourné, à cause de sa grande barbe. » Je suis persuadé que mon grand-oncle, qui devait certes à Lacau son embauche à Sakkara, mais qui était surtout d’une extrême élégance, transforme ici quelque chose comme « caractère tyrannique » en « grande barbe »…
  • 17
    « En albâtre, en schiste bleuté du Ouadi Hamamât, en brèche rouge d’Assiout, en roche porphyrique ou en granit d’Assouan », précise Claudine Le Tourneur d’Ison.
  • 18
    Citons encore, et entre autres trouvailles : un pied momifié de Djoser, un sceau faisant référence à Imhotep dans la chambre de la reine (sous la pyramide), et d’autres découvertes dans des pyramides avoisinantes, comme celle d’Ouserkaf ou celle d’Ounas. Après la guerre, escaladant la grande pyramide de Chéops avec ses deux fils, Jean-Philippe est brusquement arrêté par une question : « C’est quand même curieux que, depuis le temps qu’on fouille ici, personne n’ait jamais retrouvé trace du temple de la pyramide. » Méditatif, il jette un regard absent vers le bas, et que voit-il ? Le temple, parfaitement dessiné dans les sables…
  • 19
    Dans le cadre d’une mission initiée par Lacau et dont Jean Sainte Fare Garnot (1908-1963) — puis Jean Leclant à partir de 1964 — et Jean-Philippe Lauer assurèrent la direction
  • 20
    Deux pyramides à faces lisses, situées à Sakkara. Les rois en question appartiennent à la VI° dynastie (2374/2140) ; ils ont donc régné environ 500 ans après Djoser.
  • 21
    Ces textes, précise Philippe Flandrin, « représentent le plus ancien corpus religieux de l’humanité » ; d’eux, ajoute-t-il, « il ne faut pas attendre qu’ils nous apportent des révélations sur les événements qui se déroulaient à l’époque de leur rédaction dans l’Égypte de l’Ancien Empire. Ce sont des formules d’incantations magiques, qui devaient être récitées au moment de la mort du roi pour l’aider à gagner l’éternité. »
  • 22
    Et traduit en allemand, en 1988.
  • 23
    Il a retrouvé un sceau nommant Imhotep le « charpentier », ou le « constructeur » ; une autre titulature le consacre « grand maître des charpentiers, des fabricants de vases, des graveurs. » Lauer commente : « Ce sont des charges directement en rapport avec les grands travaux qui ont présidé à l’édification de la pyramide à degrés. C’est lui qui dirige ces travaux et, ce faisant, pose les fondations de l’Ancien Empire. C’est un rôle comparable à celui qu’a joué Colbert auprès de Louis XIV lorsqu’il créa l’État moderne, et le Louis XIV d’Imhotep, c’était Djoser ! »
  • 24
    N’oublions pas, naturellement, les équipes d’ouvriers à son service, menées par le « raïs », le conducteur des travaux. Longtemps il y eut des enfants qui, se souvenait Lauer avec un brin de nostalgie, « chantaient presque tout le temps en travaillant, et se déchaînaient dès qu’ils voyaient des visiteurs, particulièrement lorsqu’il s’agissait de visiteurs de marque. »
  • 25
    cf. infra, bibliographie.
  • 26
    Les constructions égyptiennes, avant Imhotep, utilisaient la brique crue, le bois et parfois le roseau. Si Imhotep change la matière en introduisant la pierre dure, il conserve au mieux les formes existantes. « C’est ainsi, précise Lauer, que j’explique les proportions si élancées des colonnes qui représentent des poteaux de bois cannelés ou des faisceaux de tiges de palmes » (référence aux « colonnes-papyrus »).
  • 27
    Voir les détails de sa méthode (notamment l’usage de calques) dans Une passion égyptienne(p. 133) ou dans Je suis né en Égypte il y a 4 700 ans (p. 176-179)
  • 28
    Basé à Lunéville au service de la IVe armée, Lauer camoufla « toutes sortes de choses : des pistes de ravitaillement, des blockhaus, des batteries d’artillerie, etc. », puis même des avions (ceux épargnés par la destruction au sol des Allemands).
  • 29
    À l’échelle d’un centimètre par mètre !
  • 30
    Le programme de travail que Lauer s’était très tôt fixé à Sakkara était immense, et il était le mieux placé pour en avoir une conscience aiguë. Jamais, même à partir de sa retraite professionnelle en 1974 (ce mot de « retraite » n’avait naturellement aucun sens à ses yeux), il ne ralentit le rythme. À 93 ans, il disait du site : « J’ai encore tant à faire là-bas ! »…
  • 31
    Achetée par Pierre Jouguet en 1905. Professeur à Lille, il se dit que l’endroit serait idéal pour passer l’été en famille. Que le dallais qui trouve l’idée idiote me jette le premier galet…
  • 32
    La maison, jumelle, était Jouguet au 104 D, et Lauer au 104C. Avant le rachat par mes parents de la « partie Lauer » en 1982, je résidais naturellement, avec mon frère et mes parents, « côté Jouguet », chez mes grands-parents, Yvonne et Marc. Mais, les deux parties communiquants directement, le transit Jouguet Lauer et Lauer Jouguet était constant durant l’été.
  • 33
    Une passion égyptienne, p. 112.
  • 34
    Si, à Sakkara, Mimi était dans la finesse des broderies et des reliures (elle passa des journées à relier des livres) et, aux Petites Dalles, dans un relâchement assez bohème, Jean-Philippe, un peu similairement, perdait au 104C tous ses talents manuels d’architecte. Il ne fit aucun travaux dans la maison, mais un jour, il voulut réparer un volet endommagé. Le volet lui resta dans les mains.
  • 35
    Saqqarah, une vie, p. 203-204. Lauer eut des rapports difficiles avec les touristes, qui vinrent toujours plus nombreux à Sakkara à mesure que grandissait sa notoriété médiatique : « Vous comprenez, ils sont bien gentils ces touristes avec leurs appareils, mais ils ne se rendent pas compte que je travaille. Si je commence à dire oui, alors je n’ai plus qu’à passer mes journées à poser pour les photos. C’est enquiquinant, mais enfin c’est parfois aussi touchant. » (op. cit., p. 203)
  • 36
    Émise au 1er siècle av. J.-C. dans sa monumentale Bibliothèque historique.
  • 37
    Voir par exemple l’article du Parisien daté du 10 novembre 2018, « Construction des pyramides : la rampe qui change tout » (p. 12), où la journaliste Aline Gérard, ne mentionne pas le nom de Lauer ! Cela dit, si la technique de la rampe semble confirmée, les égyptologues défendent le modèle « en spirale » (une seule rampe s’élevant de bas en haut de la pyramide au fur et à mesure de sa construction), qui n’était pas celui, « frontal », de Lauer : « Georges Guyon, remarquait-il, a écrit un ouvrage sur les pyramides où il cherche à démontrer que j’ai tort et qu’ils utilisaient une rampe enveloppante. Oui, vraisemblablement pour les petites pyramides, mais certainement pas pour les plus grandes comme Chéops [sic] et Chéphren [sic]. » (Une passion égyptienne, p. 234) Donc, affaire à suivre…
  • 38
    Saqqarah, une vie, p. 220. D’abord, les trois questions suivantes : 1) Dans quel sens étaient placées les architraves recouvrant les colonnades du hall d’entrée ? 2) Le mastaba à partir duquel Imhotep a construit la pyramide à degrés fut-il édifié pour Djoser, ou pour son prédécesseur, l’Horus Sanacht ? 3) Le tombeau Sud a-t-il été construit en même temps que celui de la pyramide ? Enfin, une question principale : quel était le rôle de ce tombeau Sud, étant donné que Djoser avait déjà son cénotaphe plus au sud, à Abydos ? (voir op. cit., p. 223-224)
  • 39
    Un coup de canif dans le rituel estival ? Non, bien plutôt un rituel nécessaire dans la logique du rituel général.
  • 40
    Dans les Yvelines. Les Lauer y résidèrent assez longtemps, dans un charmant appartement.
  • 41
    Cette manière de « Dieu absent » (comme l’appelait sa fille Florence) se retrouve dans le beau reportage réalisé conjointement par le Musée du Louvre, La Sept-Arte et France 3 en 1996, Jean-Philippe Lauer, Le voyage à Saqqara. L’intégralité du film est visible sur internet dans sa version espagnole
  • 42
    « J’ai vécu comme un ascète. Mais vivre comme un ascète à la manière de Lauer, ça, je n’y suis jamais arrivé ! », confiait Jean Leclant.
  • 43
    Le Monde, 1er avril 2006
  • 44
    La liste est longue. Citons Mary de Roumanie, « cette reine de conte de fées » possédant le plus gros saphir au monde, qui débarqua un matin à Sakkara dans sa Torpédo décapotable ; Édouard Herriot, le laborieux, notant sur un calepin tout ce que lui expliquait le maître, ce qui fit dire, le soir, à Daniel (le second fils Lauer) : « Tu sais papa, j’ai vu le gros bonhomme, et ben tout ce que tu as dit, il l’a écrit sur son gros ventre ! » ; le roi Victor- Emmanuel III d’Italie qui, aux côtés de sa grande femme de reine, ressemblait assez, selon Lauer, à un basset… Il y eut la visite, par deux fois, de Louis Renault, « un monsieur que Mimi ne manqua pas de remettre à sa place » (Une passion égyptienne, p. 159 et p. 160 pour les explications) ; et, parmi les écrivains, deux André : Maurois, qui se fit remarquer par sa distinction, et Gide, par son indistinction. Refusant de visiter le site, il déclara : « J’ai bien d’autres choses à faire que d’aller me promener au milieu de vieilles pierres ! » ; sur quoi Mimi lui rétorqua : « Eh bien tant mieux ! Cela nous fera toujours un raseur de moins… » ; de son côté, Jean-Philippe s’étonna des goûts peu sûrs de Jean Cocteau, « qui se pâmait littéralement devant les représentations les plus maladroites », et de Le Corbusier, dont l’unique élément qui l’émut fut « l’horrible toit en béton » couvrant la grande colonnade, simple protection de fortune contre les intempéries…
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    Il existe déjà un livre relatant cet épisode cinématographique hors proportion : Hollywood sur Nil(Ramsay, 1999 pour la version française), de Noël Howard, l’assistant de Hawks, où l’on trouvera, parmi la description de monuments, celle de Lauer : « De taille moyenne, il était entièrement vêtu de kaki clair. Le blouson et le pantalon étaient certainement choisis volontairement un peu trop larges : un homme qui aime ses aises ; par opposition, la présence d’une cravate de même matière que la chemise et le reste m’inquiétait un peu ; le petit chapeau de paille fine, genre pêcheur à la ligne débonnaire, me rassurait. »
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    Jean-Philippe Lauer, Je suis né en Égypte il y a 4700 ans, p. 239. Nous conseillons vivement la lecture de ce chapitre hallucinatoire consacré à Hawks : « Hollywood-sur-Nil » (p. 235-240).