Où sont passées les Petites Dalles et la Grande Dalles ?
La côte ouest de l’Amérique du Nord a été explorée et cartographiée par les navigateurs aux XVIe et XVIIe siècles. Puis la Californie a été occupée par les Espagnols à partir de 1765.
L’anglais George Vancouver et l’américain Robert Gray, en 1792, ont convenu que les Anglais exploreraient au nord de la Columbia River alors que les Américains iraient au sud de ce fleuve. Les premières implantations d’Américains à l’embouchure de la Columbia River débutèrent dès 1801.
En 1803, la cession par Napoléon, pour 15 millions de dollars, de la Louisiane a permis l’amorce de la Conquête de l’Ouest. Le président Jefferson obtint alors du congrès 2 500 dollars pour une exploration de l’Ouest avec pour objectif de rechercher un passage et une interconnexion des fleuves permettant d’ouvrir une route commerciale vers le Pacifique.
L’expédition de Lewis et Clark, à partir du 14 mai 1804, va remonter le Missouri, du Mississippi aux Montagnes Rocheuses. Pour redescendre vers le Pacifique, les membres de l’expédition suivront les rivières Clearwater et Snake puis le fleuve Columbia (illustration 1).
Pour traverser la chaîne des Cascades, la Columbia River, en plusieurs endroits, se resserre de plusieurs centaines de mètres de largeur à quelques dizaines de mètres. Des pistes, d’origine amérindienne, longeaient le fleuve. Les portages, au niveau des rapides les plus violents, permettaient de transporter par terre les embarcations et leur chargement.
En octobre 1805, à près de trois cents kilomètres de l’embouchure du fleuve Columbia, Lewis et Clark franchirent plusieurs rapides se succédant dans des canyons particulièrement étroits, aux parois abruptes, suivis de cuvettes avec de dangereux tourbillons. Ils baptiseront deux d’entre eux short narrows et long narrows (illustration 2).
Dans cette partie de leur voyage, ils notent sur leur carte la rencontre d’Amérindiens des tribus : Wishram, Wasco, Echelute. Cette zone de rapides de la Columbia River est très poissonneuse en particulier en aval des chutes. De nombreux pêcheurs indiens vivaient le long de ces canyons dans des tentes ou de petites maisons en bois. Ils construisaient des plateformes en bois pour attraper, avec des filets et des harpons, les poissons sautant au niveau des rapides (illustration 3). Pour les Amérindiens, cette région était également une importante zone d’échange.
Peu après, l’expédition de Lewis et Clark, des Canadiens francophones travaillant pour les compagnies des fourrures baptisèrent ces canyons : les Petites Dalles et la Grande Dalles ou Grand Dalles de la Columbia.
Ce parcours de Lewis et Clark, du Mississippi au Pacifique, sera emprunté par des aventuriers, des trappeurs puis par les premières familles, d’abord à cheval, puis à partir de 1841, avec des chariots. Rapidement, ces convois de migrants parvinrent à franchir des distances de plus en plus importantes pour parvenir finalement aux Dalles, petit village créé à la sortie de ces gorges du fleuve Columbia.
De 1843 à 1846, l’Oregon Trail se terminait aux Dalles. Les chariots étaient alors chargés sur des radeaux ou des bateaux pour transporter les migrants jusqu’aux plaines fertiles situées entre la chaîne côtière et celle des Cascades. Puis dès 1846, la création de routes a permis à ces convois de poursuivre leur parcours, en contournant le mont Hood, jusqu’à leur destination finale.
Si vous naviguez actuellement sur la Columbia River, vous ne trouverez plus ces canyons et ces rapides. La mise en eau d’une quinzaine de barrages hydroélectriques a entraîné la formation d’une série de lacs. La Columbia River reste cependant navigable grâce à des écluses implantées au niveau de chaque barrage. Des échelles permettent le passage des poissons. Avant la mise en eau des lacs, des pétroglyphes (illustration 4) ont été déplacés et regroupés dans le Columbia Hill State Park.
Les canyons et les rapides des Petites Dalles et de la Grande Dalles ont été submergés en 1957, par suite de la mise en eau du lac Celilo, lors de la finition du Dalles Dam (illustration 5). Ce barrage, inauguré en 1959 par le vice-président Richard Nixon, a une longueur de près de trois kilomètres. La centrale électrique regroupe 22 turbines d’une puissance totale de 1 878 mégawatts.
Que reste-t-il des Dalles en Orégon ?
Le village implanté à la sortie des gorges des Petites Dalles et de la Grande Dalles a connu plusieurs noms : Dalles en 1851 ; Wascopum en 1853 ; The Dalles en 1860 ; City of the Dalles en 1966. Ce dernier nom est généralement simplifié sous la forme : The Dalles. Le « the » a été ajouté, à la demande du service des Postes, pour éviter les confusions avec Dallas.
Dans l’attente d’intégration aux États-Unis d’Amérique, un premier gouvernement fut élu en 1843 sous le nom de Provisional Government of oregon. En 1848, les miliciens de l’Oregon Riffle ont établi le Fort Lee. Dès l’année suivante, les soldats de l’US Army les remplacèrent et y construisirent un véritable fort : Camp Drum qui deviendra Fort Dalles. La maison du chirurgien a été reconvertie pour devenir le Fort Dalles Muséum.
À partir de 1860, la ruée vers l’or dans l’Oregon a attiré plus de 80 000 prospecteurs. Pour transformer l’or brut, le Congrès autorisa la création, à The Dalles, d’un atelier de la monnaie américaine, l’US Mine (illustration 6). La construction de cet atelier monétaire a été interrompue, au niveau du premier étage, en raison du ralentissement de la ruée vers l’or et du développement des moyens de communication et en particulier le Central Pacific Railroad.
The Dalles est actuellement une ville d’environ 15 000 habitants. Elle a connu le triste privilège d’être le cadre, en 1984, de la première attaque bioterroriste aux États-Unis. Implantée à proximité de The Dalles, une secte d’inspiration hindoue regroupait plusieurs milliers d’adeptes autour du gourou Rajneesh. Pour obtenir l’élection de leurs propres candidats, certains de ses membres avaient planifié de neutraliser une partie des électeurs du comté de Wasco. Ils contaminèrent avec des salmonelles les salad bars de plusieurs restaurants de la ville. Cette attaque leur permit d’empoisonner 751 personnes, mais pas de gagner les élections.
The Dalles est au cœur de l’accumulation numérique de la connaissance, car Google y a créé un immense data center regroupant des milliers d’ordinateurs générant de la chaleur et voraces en électricité. Cette localisation a été retenue pour bénéficier de l’eau de refroidissement du fleuve, de réseaux de transport de données et de la proximité de la centrale hydroélectrique, garante d’une électricité abondante et bon marché.
Le mot « dalles » en Amérique
En anglais le mot « dale » signifie une vallée ou un vallon. Ce terme est actuellement un peu démodé et donc son usage décroit. Au pluriel « dales » désigne une série de vallons du Yorkshire (Grande-Bretagne).
Les principaux dictionnaires de l’anglais d’Amérique1 Définition de Dalles dans des dictionnaires d’anglais d’Amérique :
Merriam-Webster : « the rapids in a river confined between walls of a canyon or gorge »
American Heritage : « the rapids of a river that runs between the steep precipices of a gorge or narrow valley »
Webster’s New World College Dictionary : « the rapids of a river between the steep, rocky walls of a narrow canyon »
Collins dictionary : « a stretch of a river between high rock walls, with rapid and dangerous currents »
Dictionary.com : « the rapids of a river running between the walls of a canyon or gorge »., y ajoutent le mot Dalles, au pluriel, avec la définition suivante : rapides d’une rivière entre les parois abruptes d’une gorge. Ce mot est donc bien utilisé dans le sens de vallée, mais limité seulement à certaines d’entre elles présentant une configuration spécifique et en particulier la présence de rapides.
Dalles a été conservé dans divers toponymes au Canada et aux États-Unis, par exemple :
- Rapides de la Dalles, rivière des Français (Ontario),
- Réserve indienne des Dalles (Ontario),
- Rapide des Dalles, village des Dalles, route des Dalles dans le Parc régional des Chutes Monte-à-Peine-et-des-Dalles (Québec),
- Dalles of the St. Croix River (Wisconsin)
Sur la Columbia River parmi les nombreux rapides, certains ont porté ce toponyme jusqu’à leur submersion :
- Dalles des Morts par le lac Reverstoke (Colombie-Britannique),
- les Petites Dalles et la Grande Dalles par le lac Celilo (Oregon).
Le nom indien de ces dernières était Winquatt signifiant l’endroit entouré de falaises de pierre.
Gabriel Franchère est le premier auteur à faire mention des Dalles dans l’Oregon. En 1810, ce Canadien est arrivé à l’embouchure de la Columbia River, par mer, en contournant le Cap Horn. Il participa à Astoria à l’implantation de la Pacific Fur Company. En 1814, après l’absorption de cette entreprise par la North West Company, il décida de rentrer à Montréal par terre. La remontée de la Columbia River était ponctuée de portages au niveau des rapides. Dans son journal, publié à Montréal en 18202Relation d’un voyage a la côte du nord-ouest de l’Amérique Septentrionale dans les années 1810, 11, 12,13, et 14. Montréal, Imprimerie de C.B. Pasteur, 1820. Cet ouvrage fera l’objet d’une traduction en anglais rééditée de nombreuses fois., il mentionne, le 12 avril 1814, le portage des Dalles et en donne une brève description. Seulement huit ans après le passage de Lewis et Clark, les noms de Long Narrows and Short Narrows, étaient donc déjà remplacés par Dalles.
En Amérique du Nord, dalles est orthographié avec deux « l » et au pluriel qu’il s‘agisse d’un nom commun ou d’un toponyme.
Lorsque le débit était très important, l’Oregon pour parcourir les Petites Dalles se divisait. Des bras occupaient alors des canyons latéraux. Cette configuration explique l’utilisation du pluriel pour petites. La Grande Dalles de la Columbia était plus longue, trois miles contre un mile pour les Petites Dalles. Les adjectifs, petites et grande avaient donc une signification liée aux longueurs respectives et au nombre de ces gorges. Contrairement à nos Dalles qualifiées de « petites » et « grandes » non en raison de leur longueur, mais, à mon avis, en raison d’une hiérarchisation en tant que port d’échouage. Bien que situé dans le vallon le moins profond, le port des Grandes Dalles, mieux protégé des vents dominants, était plus important 3Jean-Claude Michaux : Origine des noms Les Petites Dalles Les Grandes Dalles, Livret 2005 du Syndicat d’Initiative des Petites Dalles ou Les noms Petites et Grandes Dalles en deux hypothèses sur le site internet : Les Petites Dalles et la Mémoire des Hautes Falaises.
En France, les toponymes en dalle, sont considérés comme un apport du norrois. Ils ne se rencontrent quasiment qu’en Normandie.
Il est curieux de retrouver réunis ces Petites Dalles et Grande Dalles en Amérique du Nord. Le nom des trappeurs canadiens francophones qui ont attribué ces noms à ces canyons nous est inconnu. Il n’est donc pas possible de rechercher s’ils avaient des origines familiales à proximité de nos Petites Dalles et Grandes Dalles. Pourtant une telle origine nous semble très vraisemblable.
Cet article a été initialement publié dans le livret 2021 du Syndicat d’initiative des Petites Dalles. Il est également consultable avec des images en couleurs et quelques documents complémentaires sur le site internet Les Petites Dalles et la Mémoire des Hautes Falaises.
- 1Définition de Dalles dans des dictionnaires d’anglais d’Amérique :
Merriam-Webster : « the rapids in a river confined between walls of a canyon or gorge »
American Heritage : « the rapids of a river that runs between the steep precipices of a gorge or narrow valley »
Webster’s New World College Dictionary : « the rapids of a river between the steep, rocky walls of a narrow canyon »
Collins dictionary : « a stretch of a river between high rock walls, with rapid and dangerous currents »
Dictionary.com : « the rapids of a river running between the walls of a canyon or gorge ». - 2Relation d’un voyage a la côte du nord-ouest de l’Amérique Septentrionale dans les années 1810, 11, 12,13, et 14. Montréal, Imprimerie de C.B. Pasteur, 1820. Cet ouvrage fera l’objet d’une traduction en anglais rééditée de nombreuses fois.
- 3Jean-Claude Michaux : Origine des noms Les Petites Dalles Les Grandes Dalles, Livret 2005 du Syndicat d’Initiative des Petites Dalles ou Les noms Petites et Grandes Dalles en deux hypothèses sur le site internet : Les Petites Dalles et la Mémoire des Hautes Falaises