Les falaises ont toujours été des marques identitaires du Pays de Caux. Celles encadrant la plage des Petites Dalles font partie des plus hautes…
Mais ces parois imposantes demeurent fragiles, comme en témoignent les éboulements spectaculaires de l’été 2016. Celui du 25 août en particulier fit sensation. Le pan de falaise qui s’est effondré en pleine journée représentait en effet un volume de 28 000 m3, soit une masse de 50 000 tonnes (c’est-à-dire à peu près l’équivalent du poids des matériaux ayant servi à la construction de l’Arc de Triomphe à Paris…). S’il fut particulièrement imposant, il ne fait que succéder à d’autres effondrements comme celui observé quatre jours auparavant côté Grandes Dalles cette fois. Le recul de ces falaises transforme, petit à petit, les paysages, modifie les perspectives, ferme des valleuses, effondre des escaliers ou les échelles, transforme des espaces de pêche… et suscite quelques questions.
Quel est leur recul moyen ?
Les experts semblent à peu près d’accord pour évaluer, au niveau des Petites Dalles, le recul moyen à 15 cm/an, mais ces vitesses de retrait s’avèrent difficiles à apprécier, ces phénomènes d’érosion subissant des périodes d’accélération ou de ralentissement dans le temps. Ils ne se révèlent pas non plus toujours homogènes et parallèles au trait de côte. Les falaises sont en effet constituées de couches géologiques de différentes natures dont les résistances sont variables face à ces processus de dégradation naturels. Il a ainsi été mis en évidence que, le long de la côte d’Albâtre, les vitesses d’évolution variaient : peu rapides sur la partie Le Havre – Antifer (environ 10 cm/an), elles s’accéléraient au fur et à mesure pour atteindre environ 25 cm/an dans le secteur de Varengeville-sur-Mer !
Par ailleurs, la manière dont le recul se produit s’avère différent. Alors qu’aux Petites Dalles, les falaises sont plutôt sujettes à des effondrements relativement importants et peu fréquents, celles situées plus au nord sont, elles, davantage victimes d’éboulements plus petits mais beaucoup plus nombreux !
Néanmoins et globalement au niveau de l’ensemble de la côte, la vitesse moyenne de retrait des falaises, ainsi que le nombre d’éboulements, semblent avoir doublé au cours de la seconde partie du XXe siècle…
Comment mesure-t-on ces reculs ?
Ces retraits peuvent être évalués par :
- la comparaison des relevés cadastraux, qui constituent en effet un historique important et précieux, puisque ces cartographies existent depuis Napoléon (1820 environ) mais celles-ci ne sont pas toujours suffisamment précises ou exactes ;
- les superpositions de photographies aériennes qui existent, elles, depuis les années 1930 mais qui peuvent aussi engendrer certains risques d’erreurs si, par exemple, la déformation entre le centre l’image et sa périphérie n’est pas compensée. Elles peuvent être naturellement complétées désormais par l’imagerie satellitaire ;
- les levées photogrammétriques, permettant, par juxtaposition d’images, de reconstituer un paysage en 3D ;
- les mesures laser terrestres ou aériennes régulières ;
- les analyses systématiques des éboulements et des volumes qu’ils représentent.
En fait, les données enregistrées véritablement fiables sur ces évolutions remontent à une trentaine d’année seulement ; ce qui, à l’échelle de l’évolution de nos paysages, représente une très courte période d’observation.
Quelles sont les causes de ces éboulements ?
Les facteurs essentiels semblent provenir des infiltrations d’eau, des périodes de gel et de dégel, et des déformations des cavités karstiques consécutives aux dif- férents phénomènes météo qui finissent par faire éclater la craie : les périodes humides provoquent une augmentation de la pression hydrostatique, alors que, lors des périodes très sèches, les argiles de surface introduites dans les inters- tices de la craie ont, au contraire, tendance à se rétracter.
Bien que les pieds des falaises ne soient, aux Petites Dalles, protégés d’aucune dune, le travail de sape de la houle et des courants s’avère probablement secondaire. Si, d’une manière générale, les phénomènes d’abrasion ne semblent pas provoquer de surplombs suffisamment importants pour mettre en péril l’équilibre de la partie supérieure des parois, les chocs répétés des vagues cependant, à l’origine de surpressions et de dépressions incessantes à l’intérieur des diaclases, participent sans doute, à la longue, à l’amplification des fracturations de la roche.
Le cordon de galets a d’ailleurs un rôle essentiel de protection. Les spécialistes ont notamment mis en évidence que les obstacles au déplacement des galets, qu’ils soient construits par l’homme (jetées de ports, épis sur les plages,…) ou d’origine naturelle comme les éboulements eux-mêmes, constituaient probablement un facteur aggravant dans le recul des falaises. S’opposant en effet au transit naturel des galets vers le Nord-Est, ces obstacles provoquent alors, en aval, une diminution de leur épaisseur, avec pour conséquences, à l’aplomb de telles zones, des vitesses de retrait des falaises multipliées par trois ou quatre !
… Et que dire de ces éboulements ?
En général, la paroi se détache et s’effondre sur elle-même. Certains blocs – les plus volumineux – peuvent arriver à rouler et se déposer sur l’estran (partie de la côte qui découvre à marée basse). Les observations faites ont montré que de tels éboulements se retrouvaient ainsi éloignés vers le large d’une distance deux fois plus longue que la hauteur de la paroi !
Il faut seulement quelques années pour que la mer les fasse complètement disparaître, la craie finissant diluée dans l’eau et les silex se transformant peu à peu en galets. Sur la base d’éboulis récents et importants survenus aux Grandes Dalles et aux Petites Dalles, et à dire d’experts, une vingtaine de mètres cube en moyenne seraient évacuées et déblayées par la mer à chaque marée… Sur cette base, on peut donc imaginer que l’éboulement du mois d’août 2016 aura complètement disparu dans un peu plus de 2 ans !
« Vous ne voyez
Que les remparts de pierre.
Je ne sens, moi,
Que les failles.
Ainsi chante la falaise dans le vent
Tandis que l’assaillent les vagues du doute. »
Olivier Cosmann