La toponymie des Petites Dalles ne manque pas de passionner Dallais, résidents et estivants. Voici une partie des réponses à leurs questions.
En préambule, l’apparition de toponymes norrois résulte clairement d’un double mouvement :
- celui d’une répertorisation de terrains (tofta) et domaines (villa) cédés à des chefs vikings, où les colons scandinaves s’installent dès 911 ;
- celui d’une géographie descriptive due à la colonisation dense qui a lieu dès 850, mais surtout de 911 à 950, elle-même précédée par un peuplement saxon ayant laissé quelques traces.
Les Dalles avant les Dalles
Les sites des Dalles n’ont aucune mention connue avant la création de la Normandie en 911. Tous les toponymes des alentours sont exclusivement d’origine norroise à l’exception du plateau de Saint-Martin-aux-Buneaux, habitat celtique et gallo-romain bien défini aujourd’hui (voir notre étude sur la toponymie de Saint-Martin-aux-Buneaux). Tout au plus sait-on qu’il y avait très probablement une voie gallo-romaine descendant de Vinnemerville et débouchant aux Petites Dalles avec un bastion relais, croisant la voie militaire longeant la côte depuis l’embouchure du Rhin jusqu’à celle de la Loire.
La vallée est un lieu de sépulture à deux endroits. Sur l’aire de stationnement et au milieu de la vallée. Ce sont des tombes germaniques militaires et il peut s’agir d’auxiliaires francs de l’armée romaine.
Également on peut voir dans la descente du Val à Saint-Martin et du Vauchel à Saint-Pierre l’équivalent roman — l’ancêtre du français — des vallées identifiées par les Vikings et nommées par un toponyme qui les décrivait : Dalle. Le Val est la traduction de dalle comme le Vauchel est une petite dalle.
Qu’est-ce qu’une dalle ?
Tout d’abord, « dalle » est un mot normand d’où dérive le mot français et non l’inverse. En norrois, la langue des Vikings, « dalr » signifie « vallée » et, sens immédiatement dérivé, « rigole », un creux où l’eau s’écoule dans une direction unique. Les « dalots » — originellement graphés « dallots » — sont ces chenaux qui évacuent les paquets de mer du pont vers l’extérieur en passant à travers des trous dans le bordage. Ces rigoles étaient pratiquées sur les ponts des « skeids », les longues barques conçues pour les raids et connues en France comme « drekkar » (les drekkar sont des skeids ornementés).
Dalr est voisin de « tal ». Or, avant de s’appeler Dieppe (la profonde), la rivière portant ce nom s’appelait la Tella. Or « tälj » ou « tälg » — très proche de tal — est une entaille en scandinave. On retrouve exactement la même notion d’encoche (dans le plateau) que Dal.
Vallée ou rigole, le mot « dalr » décrit donc parfaitement les valleuses cauchoises au fond desquelles s’écoulait le ruissellement intermittent ou continu d’un microfleuve.
Il est important que ce soit le sens second de rigole qui ait perduré en vieux français et donné le mot qui désigne l’évier puis la plaque en pierre (ou autre) pour la construction.
Pourquoi la graphie « dalle » l’a-t-elle emporté sur « dale » ?
Au départ le mot norrois est « dalr » et non « dal » ; le a de « dalr » se prononçait de façon longue. L’évolution naturelle est la chute du r final (amuïssement) et en roman le doublement de la dernière consonne « l » pour conserver la prononciation longue.
En Angleterre — terre d’implantation viking autant qu’en Normandie — le même mot s’écrit « dale » et se prononce de fait plus légèrement et plus ouvertement : [deil]. Le « a » long demeure et devient une diphtongue par influence du « l ». À l’Est, l’allemand plus guttural prononce « tal » avec un a fermé et long [ta:l]. Cette prononciation germanique donne certainement « Darnetal » à côté de Rouen.
La survivance de la graphie « dale » sur certaines cartes et chartes peut s’expliquer par l’influence de l’anglais durant l’ère anglo-normande (qui s’éteindra à la fin de la guerre de Cent Ans en 1453), mais plus probablement par la volonté de privilégier la graphie norroise (un l) à la prononciation romane (deux « l »). Vers l’an 1000, le r final en norrois était déjà en voie de disparition. Enfin, n’oublions pas les nombreuses libertés graphiques qui — rappelons-le — ne sont pas des fautes à une époque où l’orthographe n’est aucunement fixée.
Pourquoi associer Petite en français et Dal (ou Dalle) en norrois ?
Sur une durée — 911-975 environ — et un territoire restreint — le Cotentin, le Bessin, la basse vallée de la Seine, et le littoral cauchois —, ont coexisté le français et le norrois. Les traces de ce bilinguisme se trouvent dans les toponymes mixtes (comme Clairelonde) ou dans des doublets, deux toponymes traduisant la même idée comme La Corde/Yaume ou La Durdent /La Quitteflède. Les deux langues se comprennent et se mêlent.
À cette époque, il aurait été donc naturel pour les habitants de dire « Petites Dall » ou « Petites Dalr ». On ne connait cependant pas de mention de cette époque. Les plus anciennes datent de 1235, 1240 et 1252 avec la charte de Henri Mauconduit. Or, au XIIIe siècle, le norrois n’est plus parlé en Normandie.
Les Petites et Grandes Dalles ne sont pas les seuls toponymes mixtes en Dalle : on a un « Haute Dalle » et un « Basse Dalle » à Saint-Pierre-de-Manneville en 1440. Mais il faut se méfier de Longuedalle.
Une hypothèse est que l’ensemble des Dalles est sous l’influence romane de Saint-Martin-aux-Buneaux qui est le bourg principal entre Fécamp et Saint-Valery, suffisamment important pour que, disent les archives de l’Abbaye de Fécamp, Wilhjalm, chef proche de Rollon, le reçoive en fief. Sassetot — Sauxetot — n’est qu’un hameau à cette époque. À Saint-Martin, en 911, on continue vraisemblablement de parler le roman. Il paraît logique que les qualificatifs nécessaires pour distinguer une valleuse se soient faits donc rapidement en roman et non en norrois.
Pourquoi le « Daletis » de 1240 (ou le « Daletos » de 1252) n’a-t-il pas évolué en Dal(l)ettes ?
Une hypothèse est que Daletis serait un néologisme créé par le clerc pour signifier « petites dalle » — sans nécessairement connaitre le sens de « dalle ». Il faut envisager alors que le mot dalle était suffisamment courant dans le pays de Caux pour que sa flexion à l’aide d’un diminutif roman soit usuelle. D’ailleurs, des « valettes » existent en Pays de Caux.
La seconde hypothèse est que le toponyme était intelligible et donc traduit : on aurait eu alors un lill-dalr norrois, « petite vallée », comme on a un Lillebec et un Lillamard. Ce composé aurait cependant été trop éloigné du roman pour les habitants, lui préférant le groupe « petite dalle » qui serait resté. Cette hypothèse respecte la prédominance du roman autour de Saint-Martin. Malheureusement il n’existe aucune trace équivalente pouvant corroborer cela. La persistance de Lillebec et Lillamard laisse penser qu’il n’y a pas eu de Lilledal sauf si « les Dalles » est une corruption de Lilledal. En roman « les dalles » se disait justement « Li Dals » ce qui est très proche de Lil(le)dal. En norrois Dalr était masculin.
La troisième hypothèse est qu’il y aurait eu un « dal-let » au XIIIe siècle, mais que la deuxième partie du terme n’était pas un diminutif. On n’a pas à ce jour identifié de racine norroise qui puisse éclairer cette syllabe de façon certaine. Peut être le meilleur candidat est le terme « hlid » qui signifie côte, pente, descente que l’on retrouve dans la toponymie sur la paroisse voisine, Veulettes, nommément « le vicly », la côte/descente de la baie (vik-hlid). Descente est un mot très usité sur la cote cauchoise, peut être une traduction du mot norrois « hlid ». Dans ce cas, Dalr-Hlid serait « la descente de la vallée ». Cela paraît peu probable, car il aurait évolué en un Dally comme Vicly.
Pourquoi Dalles au pluriel ?
Depuis la mention la plus ancienne (XIIIe s.), l’existence du pluriel est certaine. « Dalos et Daletos » sous-entend qu’il existe plusieurs vallées et plusieurs petites vallées. Notons que lorsque la vallée est unique, elle n’est jamais au pluriel : Oudalle, Croixdalle, Dieppedalle, Mordalle, Longuedalle et Hynedalle, sont toutes sans s.
Le pluriel a donc bien une fonction dans Petites et Grandes Dalles, fonction que nous allons bientôt expliciter dans une publication à venir.
Quel était l’ancien nom de la vallée descendant depuis Criquetot-le-Mauconduit, appelée aujourd’hui la valleuse des Petites Dalles ?
Si l’on se fie à quatre cartes anciennes des XVIIe et XVIIIe, cette longue vallée s’appelait partiellement ou intégralement Nicdalle. Ce toponyme signifie « vallée trempée ». Il est à rapprocher du toponyme « Le Pas Griant » – le passage glissant —, certainement parce qu’à ce coude, la vallée voyait s’accumuler en permanence l’eau dans un fond fangeux. Il est également à comparer au toponyme « foud » poule » qui signifie « fongueusemare » située dans la toute petite valleuse où se situe le chemin de Saint-Martin à Fécamp.
Nicdalle est aussi le nom sur ces cartes d’un petit hameau, situé entre celui des Grandes Dalles et celui des Petites Dalles. Ce n’est pas Houlgate, ni Briquedalle. Ce sont peut-être les quelques maisons du Pas Griant, ou bien la portion supérieure du hameau des Petites Dalles. La ferme des Bruyères appelée auparavant Brières désigne bien une zone marécageuse !
Sur plusieurs cartes, Petites Dalles ou Petite Dalle se trouve plus en amont, du côté des Huches.
Où se trouve la vallée des Huches ?
Elle n’existe pratiquement plus. Le toponyme des Huches provient très probablement du norois « hykken » qui signifie un monticule, un banc qui est à fleur d’eau. En cauchois, huche se serait logiquement prononcé [huk]. C’est aujourd’hui le banc rocheux séparé par un chenal peu profond, impraticable aux grandes marées. Cela a dû être une toute petite valleuse séparée de la grande (Niquedalle) par les Catelets. À noter que les Catelets semblent indiquer à première vue un petit fort, mais le pluriel laisse soupçonner un banc de « katell » c’est-à-dire des pierres rondes galets en norrois.
les Huches désigne la première petite valleuse, suivie en amont par celle du Bras d’Eau-Villon et peut-être celle du Val.
Où se trouve la vallée du Bras d’Eau ?
Le Bras d’Eau se trouve aujourd’hui dans l’eau. C’est une anse large, à quelques centaines de mètres en amont des « Petites Dalles » actuelles. Le val du Biron — aujourd’hui « Fond de Villon » — s’y jetait. Biron est, en gaulois, un petit fleuve.
Bras d’Eau est la traduction en français du norrois « fjöd » (qui donne fjord en norvégien) qui a évolué en fieu puis en fleu(r) en vieux normand : Harfleur, Vittefleur, Ficfleur, Honfleur, Barfleur.
Cette origine est confirmée par la mention d’un fief nommé le Filleul sur Saint-Martin-aux-Buneaux.
Elle s’agit d’un véritable bras de mer dans le sens où une vallée sous-marine s’en va vers le large. Certaines cartes mentionnent une descente de Biron. Une vue aérienne montre que le Bras d’Eau est plus large que les Petites Dalles (mais plus court évidemment).
Et la valleuse du Val à Saint-Martin ?
Elle s’appelle, au moins jusqu’en 1824, le Petit Val. Ce qui signifie qu’il y en a eu un grand. Ce grand val peut être le val de Biron ce qui expliquerait pourquoi les Dalles sont des petites. Il y a d’ailleurs deux seigneuries à Saint-Martin : celle de Saint-Martin et celle du Petit Saint-Martin. On ne sait pas lesquels des six fiefs relèvent de quelle seigneurie. Il n’est pas sous influence viking bien que la valleuse suivante Yaume et au-dessus Septimanville le soient clairement.
Nicdalle, Pas Griant, Biron, Foud’poule, pourquoi ces références à l’eau alors qu’il n’y en a pas ?
C’est parce qu’il y a eu de l’eau en abondance dans le Pays de Caux. Les défrichements massifs de l’occupation romaine et jusqu’à la fin du Moyen Âge ont rasé une grande partie sinon la totalité de la forêt, ce qui a provoqué l’assèchement quasi complet du plateau, faisant disparaître des rivières entières comme la rivière d’Etretat, celle d’Auberville-la-Manuelle (sauf sa portion nommée la Veulette), le micro-fleuve du Val à Septimanville, le Biron au Fond de Villon, la partie supérieure du cours du Dun et la Dieppedalle qui rejoignait la Durdent à Grainville-la-Teinturière.
Les nombreux « fonds » (Fond des Carrières au Pas Griant, Fond de Villon à Saint-Martin, Fond du Hêtre à Sassetot) pourraient avoir désigné en fait des « fonts », c’est à dire des sources ou résurgences de l’eau.
Une première belle preuve est la présence au beau milieu d’une vallée affluente de celle de la Durdent, celle de Saint-Vaast-Dieppedalle, d’un toponyme « le Forte », qui n’est autre que le mot « ford » qui désigne un gué, et donc la présence d’un cours d’eau à l’époque de la colonisation scandinave. D’ailleurs, cette vallée aussi débute bien par un fond, celui de « Boucourt ».
Une seconde preuve encore plus belle est la coexistence à Gaillefontaine de deux toponymes sur le même site : Longuedalle et Clair Ruissel.
Longuedalle a pu être « lon-dalr », c’est à dire un écoulement clair, tranquille, exactement la traduction de « clair ruissel », graphé en 1842 « clairuissel ». Ici, le mot dalle apparait visiblement comme un écoulement, transcription de ruissel qui est aussi une rigole, un écoulement en vieux français.
En conclusion, la microtoponymie nous apprend que le plateau cauchois évacuait les eaux de ruissellement le long de nombreuses vallées. Cette eau de ruissellement était fondamentale pour les Vikings comme source d’eau potable, car ils ne connaissaient pas l’usage du vin sous leurs latitudes, mais surtout comme repère et axe d’orientation dans un paysage recouvert par la forêt.
La dénomination des valleuses comme vallées de ruissellement a donc été systématique.
La remarquable série de valleuses entre Saint-Pierre-en-Port et Veulettes a entraîné l’émergence d’un ensemble de toponymes collectifs : les Dalles, marquées par le Cap des Dalles, et le chemin des Dalles.